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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/103

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à connaître l’intellectuel ; et il est très-vraisemblable que lorsqu’on pense aux objets les plus sublimes et en apparence « les plus suprasensibles », les centres sensoriels du cerveau apportent aussi un concours très-important. Si cependant l’on veut, dans la spéculation, séparer l’élément sensible de l’élément intellectuel, cela est tout aussi praticable dans l’art que dans un autre domaine quelconque. L’idéal de la tête de Junon n’est pas dans le marbre, mais dans la forme donnée au marbre. Le sens, comme tel, voit d’abord le blanc éclatant du marbre ; pour concevoir la forme, il faut préalablement une culture artistique et, pour apprécier complètement cette forme, il faut que la pensée du spectateur aille au-devant de la pensée de l’artiste. Or il peut arriver, ce qui dépasse encore le point de vue où Feuerbach s’est placé, que même l’idée la plus abstraite ne se constitue qu’à l’aide du matériel de la sensation, de même que le dessin le plus délicat ne peut se passer de craie ou de crayon ; alors, cependant, nous pourrons distinguer la forme résultant de l’ordre des sensations d’avec le matériel des sensations, comme, par exemple, nous distinguons la forme de la cathédrale de Cologne d’avec les masses de trachyte qui ont servi à sa construction. Or, même dans un dessin, on peut représenter la forme de cette cathédrale ; serions-nous alors loin de la pensée que cette forme résultant de l’ordre des sensations, qui est l’élément intellectuel important de l’objet d’art contemplé, est, dans son essence, indépendante des matériaux fortuits fournis par la sensation humaine, auxquels sans doute, pour nous autres hommes, elle est invariablement liée ? Cette pensée est transcendante, mais elle n’implique pas contradiction.

Le point le plus fâcheux au fond, c’est que, outre la sensation, Feuerbach reconnaît, complètement d’ailleurs dans le sens de Hegel, une pensée absolument étrangère à la sensation, et qu’il introduit de la sorte dans l’essence de l’homme une incurable discordance. Feuerbach partage avec la foule