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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/14

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entier des phénomènes une grande et unique illusion des sens ; le second doutait qu’il y eût quelque chose en dehors de nous qui correspondît à ce que nous croyons voir. Nous avons montré comment d’Holbach s’irrite contre Berkeley, sans pouvoir le réfuter.

Il existe dans l’étude exacte de la nature un problème qui empêche nos matérialistes actuels de rejeter dédaigneusement le doute qui s’attache à la réalité du monde des phénomènes : c’est celui de la physiologie des organes des sens. Les progrès étonnants, accomplis dans cette science et dont nous aurons à reparler, paraissent entièrement de nature à confirmer l’antique thèse de Protagoras, que l’homme est la mesure des choses. Une fois qu’il sera démontré que la qualité de nos perceptions sensibles dépend complètement de la structure de nos organes, on ne pourra plus éliminer comme « irréfutable mais absurde » l’hypothèse que même l’ensemble du système, dans lequel nous faisons entrer nos perceptions sensibles, en un mot toute notre expérience est soumise à notre organisation intellectuelle, qui nous force d’expérimenter comme nous expérimentons, de penser comme nous pensons, tandis que les mêmes objets peuvent paraître tout différents à une autre organisation, et que la chose en soi ne peut être comprise d’aucun être mortel.

Et de fait, la pensée que le monde des phénomènes n’est que la copie confuse d’un autre monde renfermant les objets vrais, se retrouve à toutes les époques de l’histoire des idées humaines. Chez les philosophes de l’Inde ancienne comme chez les Grecs apparaît déjà, sous des formes diverses, la même pensée fondamentale qui, modifiée par Kant, est tout d’un coup rapprochée de la théorie de Copernic. Platon croyait au monde des idées, des prototypes éternels et parfaits de tout ce qui arrive sur terre. Kant l’appelle le philosophe le plus remarquable des choses intelligibles, tandis qu’il nomme Épicure le philosophe le plus remarquable des