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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/188

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d’un homme de génie, mais sait que l’erreur n’est refoulée que par une théorie supérieure, péniblement trouvée à l’aide des méthodes de recherches les plus ingénieuses, celui-là n’accueillera pas aisément, avec un sourire moqueur, les efforts d’un savant occupé à démontrer une idée neuve et inaccoutumée ; celui-là, dans toutes les questions fondamentales, se fiera peu à la tradition, beaucoup à la méthode et pas du tout à une intelligence dépourvue de méthode.

Feuerbach, en Allemagne, et Comte, en France, ont répandu l’idée que l’esprit scientifique n’est autre que le simple bon sens parvenu à la pleine possession de toute sa force, après avoir refoulé l’imagination dont les’fantaisies lui barraient le chemin. L’histoire ne nous montre aucun exemple de ce bond subit, effectué par le sens commun, se bornant à écarter les obstacles dont l’imagination avait encombré sa voie ; elle nous montre au contraire partout les idées nouvelles, se frayant la voie à travers les obstacles suscités par le préjugé ; ces idées fusionnent avec l’erreur même qu’elles doivent faire disparaître ou se servent de cette erreur pour agir dans une direction oblique ; en règle générale, ce n’est qu’à la fin du processus que s’effectue la complète élimination du préjugé, comme le nettoyage d’une machine ne se fait qu’après qu’elle est achevée entièrement. Bien plus, par concision et pour continuer la comparaison, — je dirai que l’erreur n’apparaît assez souvent dans l’histoire que comme le moule dans lequel est fondue la cloche de la vérité, moule que l’on brise seulement après que l’opération est terminée. Nous pouvons mentionner ici les rapports de la chimie avec l’alchimie ; de l’astronomie avec l’astrologie. Il est naturel que les résultats positifs les plus importants ne soient acquis que lorsque les bases de la science ont été posées. Dans les détails, nous devons à Copernic très-peu de nos connaissances actuelles en astronomie ; Lavoisier, qui gardait encore un reste d’alchimie, en cherchant l’acide primordial, ne serait qu’un enfant dans la chimie actuelle.