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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/41

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Ce à quoi les empiriques exclusifs ne font pas attention, c’est que l’expérience n’est pas une porte ouverte, par laquelle les objets extérieurs, tels qu’ils sont, peuvent s’introduire en nous, mais un processus, grâce auquel l’apparition des choses se produit en nous. Prétendre que, dans ce processus, toutes les propriétés de ces « choses » viennent du dehors et que l’homme, qui les reçoit, ne doit rien y ajouter, c’est contredire toute analogie de la nature dans la production quelconque d’une chose nouvelle par le concours de deux autres. De quelque distance que la Critique de la raison pure dépasse l’image du concours de deux forces pour la formation d’une troisième, qui est leur résultante, il est indubitable que cette image peut servir à nous orienter dans la question de l’expérience. Nos choses diffèrent des choses prises en elles-mêmes, ainsi que peut le démontrer la simple dissemblance entre un ton et les vibrations de la corde qui le produisent. L’analyse reconnaît, il est vrai, ensuite dans ces vibrations elles-mêmes d’autres phénomènes, et finalement, arrivée à son but, elle fait entrer la « chose en soi » dans la sphère inaccessible d’un simple objet de la pensée ; mais on peut très-bien comprendre le droit de la critique et le sens de ses premiers pas préparatoires, en remarquant la différence qui existe entre le ton et la cause extérieure qui lui a donné naissance. Ce qui fait en nous, sous le point de vue, soit physiologique, soit psychologique, que les vibrations de la corde deviennent un ton, est l’a priori dans ce phénomène de l’expérience. Si nous n’avions d’autre sens que l’ouïe, toute l’expérience se composerait de tons ; et, quoique toutes nos autres connaissances pussent ensuite résulter de l’expérience, la nature de cette expérience n’en serait pas moins caractérisée complètement par la nature de notre ouïe, et l’on pourrait dire, non avec vraisemblance, mais avec une certitude apodictique, que tous les phénomènes devraient être sonores. On ne doit donc pas oublier que la naissance de l’expérience diffère totalement d’une conclusion résultant