Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

manière originale et indépendante de Kant, avec plus de clarté que n’importe lequel des successeurs de ce dernier. Lui, qui, tout en philosophant, n’oublia jamais qu’il était physicien, déclara qu’il était impossible de réfuter l’idéalisme. Reconnaître des objets extérieurs constitue, suivant lui, une contradiction ; il est impossible à l’homme de sortir de lui-même : « Lorsque nous croyons voir des objets, nous ne voyons que nous-mêmes. Nous ne pouvons rien savoir d’un objet quelconque dans l’univers ; nous ne pouvons connaître que nous-mêmes et les modifications qui s’opèrent en nous. » « Lorsque quelque chose agit sur nous, cette action dépend non-seulement de l’objet qui agit, mais encore de celui sur lequel l’action s’exerce. (61) »

Nul doute que précisément Lichtenberg aurait été à même de nous faire connaître aussi les intermédiaires entre ces pensées spéculatives et les théories physiques ordinaires mais, comme pour tant d’autres questions, il n’en eut ni le temps, ni le désir. Ce n’est que longtemps après Kant que l’on fit en Allemagne le premier pas dans cette direction, et pour évident que soit d’un côté le vrai, de l’autre le faux, on n’en voit pas moins aujourd’hui encore la tradition stupide transfigurer l’erreur la plus triviale en glorieux empirisme, tandis qu’un fait constant, aussi simple et aussi significatif que l’œuf de Christophe Colomb, est méconnu et traité de spéculation oiseuse. Il s’agit de la théorie de la transposition des objets vers le dehors en connexion avec le fameux problème du redressement des images (Aufrechtsehens).

Ce fut Jean Müller qui donna le premier la vraie solution de ce problème, quoique avec une logique encore incomplète, en montrant que l’image de notre propre corps est perçue d’après le même mode que les images des objets extérieurs.

Si jadis les hommes éprouvèrent une difficulté extrême à se figurer en mouvement cette terre solide, sur laquelle nous sommes placés et qui leur semblait le prototype du repos et