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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/57

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ficiel peut affronter la lutte contre le savant le plus éminent et lui tenir tête. Mais tant que l’on conservera un faible reste de sagacité, on se gardera bien de recourir à cette ressource suprême. Car examiné à la lumière, ce recours n’est autre chose qu’un appel au jugement de la multitude, à des applaudissements, dont le philosophe rougit, mais dont le rusé courtisan de la popularité triomphe au point d’en devenir arrogant. Je me permets de penser que Hume aurait pu, aussi bien que Beattie, prétendre posséder un entendement sain, et de plus, ce qui manquait certainement à Beattie, une raison critique, qui impose des limites au sens commun et l’empêche de se perdre dans les spéculations ou, quand il ne s’agit que de celles-ci, de vouloir trancher les questions, parce qu’il est incapable de justifier ses principes : car, à cette condition seulement, il restera le sens commun. Le ciseau et le marteau peuvent très-bien servir à confectionner une boiserie ; mais, pour graver sur cuivre, il faut employer le burin. Ainsi le sens commun et l’esprit spéculatif sont tous deux utiles, mais chacun dans son genre : le premier, quand il est question de jugements, qui trouvent dans l’expérience leur application immédiate ; le second, quand en général il faut raisonner d’après de purs concepts, comme par exemple en métaphysique, où le bon sens, qui s’intitule ainsi lui-même, mais souvent par antiphrase, n’a pas voix au chapitre.

» Je l’avoue franchement : ce fut justement le souvenir de David Hume qui, il y a de longues années, troubla le premier mon sommeil dogmatique, et donna à mes recherches sur le terrain de la philosophie spéculative une tout autre direction. J’étais loin d’accepter ses conclusions, qui ne provenaient que d’une étude incomplète du problème et n’avaient rapport qu’à une partie de ce problème : or on ne peut arriver à aucune solution, si l’on ne tient pas compte de l’ensemble. Quand on part d’une pensée exacte encore qu’incomplète, léguée par un autre, on peut bien espérer, à