Aller au contenu

Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/638

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

philosophe ne devrait jamais s’opposer au besoin réel d’une pareille séparation, en se cramponnant à l’organisation actuelle. Il ferait mieux de se demander en quoi consiste la force répulsive qui exige la séparation ; il ferait mieux de s’efforcer d’être, par ses propres œuvres, indispensable à ceux qu’il prétend retenir. Si une université n’a pas d’hommes qui, en pareil cas, sachent s’élever au-dessus du différend et se demander, avant tout, quelle est l’essence de la question, on peut dire qu’elle n’a pas de philosophes. Quand Feuerbach affirme que le caractère distinctif d’un philosophe consiste à n’être pas professeur de philosophie, il exagère considérablement ; mais ce qu’il y a de certain, c’est qu’aujourd’hui un penseur original et indépendant obtiendra difficilement en Allemagne une chaire de professeur. On se plaint de ce que les sciences de la nature sont négligées, on pourrait se plaindre de ce que la philosophie est étranglée. On ne doit pas en vouloir aux naturalistes de Tübingue des efforts qu’ils font pour se séparer d’un cadavre ; mais il faut contester que cette séparation soit réclamée par l’essence des recherches physiques et de la philosophie.

» Les sciences de la nature ont, dans leur méthode claire et lumineuse, dans la force convaincante de leurs expériences et de leurs démonstrations, une puissante protection contre la falsification de leur enseignement par des hommes qui travaillent dans un sens diamétralement opposé au principe de leurs recherches. Et cependant, la philosophie une fois complètement opprimée et éliminée, le temps pourrait venir où un Reichenbach professerait, dans les Facultés des sciences naturelles, la théorie d’Od, et où un Richter réfuterait la loi de Newton. En philosophie, un délit intellectuel est plus facile à commettre et plus facile à pallier. Il n’est pas pour le sain et le vrai de critérium aussi sensiblement évident, aussi logiquement certain que celui des sciences de la nature. Nous voulons en proposer un provisoirement comme ressource extrême. Quand les naturalistes se rapprocheront de nouveau spontanément de la philosophie sans modifier d’un iota la rigueur de leur méthode ; quand on commencera à reconnaître que toutes les démarcations entre les Facultés sont inutiles ; quand la philosophie, au lieu d’être un extrême, formera au contraire le trait d’union entre les sciences les plus différentes et facilitera un échange fructueux des résultats positifs, alors nous admettrons qu’elle a repris sa tâche principale, qui consiste à précéder notre siècle, avec le flambeau de la critique, en concentrant dans un foyer les rayons de la connaissance, en facilitant et en adoucissant les révolutions de l’histoire.

» Si les sciences naturelles sont négligées en Allemagne, on le doit à la tendance conservatrice, qui opprime et dénature la philosophie. En premier lieu, l’argent a manqué et il se passera malheureusement bien