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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/643

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que, connaissant les deux procédés, il entrevoit plus rapidement la faute commise, sous le rapport de la méthode. Un exemple de ce genre, en fait de police scientifique, fut donné, il y a quelques années, par Lotze dans son pamphlet (1857) contre l’Anthropologie de Fichte fils. Seulement il commit alors la faute de proposer, à la façon des héros d’Homère, une poignée de main et des cadeaux réciproques à celui qu’il avait complètement éliminé du terrain scientifique. Les héros d’Homère ne faisaient plus de cadeaux à l’adversaire qu’ils avaient tué ! »

« Il peut en être absolument ainsi, quand un naturaliste commet la même faute, c’est-à-dire quand il veut débiter comme faits constatés ses billevesées métaphysiques. Seulement, dans ce cas, ce sera précisément un naturaliste plus rigoureux qui fera souvent la plus prompte justice du délit, parce qu’il possède la connaissance la plus exacte de la genèse des faits en question. On sait que précisément nos matérialistes ont parfois essuyé une semblable mésaventure. »

« Mais lorsque le philosophe et le naturaliste ont conscience de la disparité de leurs méthodes, c’est-à-dire lorsque le premier procède spéculativement et le second empiriquement, il n’y a pas pour cela de contradiction dans leurs doctrines, parce que le dernier seul parle d’un fait d’expérience, que l’intellect doit apprécier, tandis que le premier cherche a satisfaire un besoin de l’âme, un instinct créateur. Si, par exemple, un hégélien définit la sensation « ce en quoi la nature entière apparaît comme un tissage sourd de l’esprit en soi », et si le physiologiste l’appelle « la réaction du processus nerveux sur le cerveau » ou « sur la conscience », il n’y a là aucun motif pour que les deux interlocuteurs s’irritent et se tournent le dos. Il faut que le philosophe comprenne le physiologiste ; quant à celui-ci, c’est affaire de goût ou, si l’on veut, c’est un besoin, s’il désire continuer à écouter le métaphysicien.

» Lorsque nous exigeons du naturaliste une culture philosophique supérieure, ce n’est pas du tout la spéculation, que nous voudrions lui recommander si instamment, mais la critique philosophique, qui lui est indispensable, précisément parce que lui-même ne pourra jamais, malgré toute l’exactitude des recherches spéciales, étouffer, dans ses propres pensées, la spéculation métaphysique. C’est justement pour mieux reconnaître comme telles ses propres idées transcendantes et pour les distinguer plus sûrement de ce que l’empirisme lui donne, qu’il a besoin de la critique des concepts. »

« Si donc en cela on adjuge à la philosophie certaines fonctions judiciaires, ce n’est pas qu’elle prétende à un droit de tutelle. Car, outre que chacun peut être philosophe, dans ce sens, lorsqu’il sait manier les lois générales de la pensée, la sentence du juge ne s’applique jamais à ce