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Page:Lange - Histoire du matérialisme, Pommerol, 1879, tome 2.djvu/681

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la conscience par la mémoire (memoria μνημονευτικόν). À ces trois sens internes furent assignés des organes cérébraux particuliers dans les parties antérieure, centrale et postérieure de la tête. Au-dessus, comme étant d’une nature essentiellement différente, était placée la raison (Vernunft). Cette théorie resta prédominante[1] jusqu’à Descartes qui abandonna la base galénienne et établit une tout autre classification, bien des fois confondue plus tard avec les traditions d’un sens externe et d’un sens interne. En effet, selon Descartes, les sens ne fournissent au cerveau que des images corporelles des choses, images qui sont perçues par l’âme. Cet antbropomorphisme d’une incroyable naïveté, qui installe tout simplement un homme dans l’homme, se joint à une abstraction non moins naïve : les images corporelles des choses dans le cerveau sont étendues ; mais leur « perception » (perceptio) par l’âme est un acte de tac « pensée » (cogitare) dans le sens le plus large c’est-à-dire un acte sans étendue d’un être sans étendue. Ainsi l’objet de la représentation, qui est cependant à vrai dire l’objet qui remplit notre conscience, est détaché arbitrairement et absurdement de l’acte de la représentation. Ainsi seulement devient possible la pensée purement immatérielle et sans étendue dans l’espace, dont la théorie se prolonge à travers toute la philosophie moderne (on trouve la plus vive opposition contre ce fantôme chez Berkeley) et l’on parle des « représentations » de l’âme avec une singulière naïveté, comme si elles embrassaient le contenu de la pensée qui est pourtant la seule chose essentielle ; mais dès qu’il s’agit d’affirmer la non-étendue de l’âme, on conçoit de nouveau la représentation comme un simple acte de la faculté de représenter c’est à-dire comme quelque chose qui, détaché de l’objet représenté est un pur néant. Leibnitz nous apporta ensuite la distinction entre la « perception » (chez Descartes « perceptio » est la perception de l’âme) et l’ « aperception », qui est la compréhension consciente de l’objet par l’âme ; à son tour, cette distinction fut confondue dans la tradition avec le « sens interne » et le « sens externe », encore que Leibnitz ne se soit nullement préoccupé de la théorie du sens interne. Au reste, ni Wolff, ni Bilfinger, ni les autres successeurs éminents n’ont expressément traité de cette théorie. Cependant Wolff parle, dans sa Psychologie rationnelle d’un « acumen » interne et externe du sens (§ 269) et il entend par ce mot la subtilité (Schärfung) donnée par une cause interne ou externe à la faculté de percevoir par les sens ; c’est donc une nouvelle distinction tout à fait différente des autres. — Tetens se plaint[2]

  1. Voy. p. ex., in Melanchthon’s Psychologie, le chapitre De sensibus interioribus.
  2. Philosophischer Versuch über die menschliche Natur, 1777, I p. 45.