Page:Langlois - Harivansa ou histoire de la famille de Hari, tome 1.djvu/46

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sur ses traces : la mère de Véna était Sounîthâ, fille de Mrityou[1], autrement appelé Câla. Ainsi par sa mère petit-fils d’un être nuisible et redoutable, ce prince abandonna les règles du devoir, et n’eut de goût que pour le mal. Il suivit une route qui l’éloignait de la vertu, et transgressant les lois des Vèdes, il ne se plut que dans l’impiété. Du temps de ce patriarche, les mortels ne faisaient point la sainte prière, ou l’exclamation pieuse qui accompagne les libations (vachat)[2] ; les dieux n’étaient point invités dans les sacrifices à boire le soma[3]. Sous peine de mort, le tyran avait défendu toute espèce de culte et d’offrande. « C’est moi, disait sa proclamation, c’est moi qu’il faut adorer ; c’est moi qui suis le sacrificateur et le sacrifice : oui, en moi est le sacrifice et l’offrande. » C’est ainsi, ô fils de Courou, que ce prince, sans honte, sans retenue, usurpait les honneurs divins : les Maharchis, ayant à leur tête Casyapa, vinrent lui faire des remontrances. « C’est à nous, dirent-ils, qu’il a été donné de présider encore au culte pendant de nombreuses années : c’est par nous seuls que le sacrifice peut être efficace. Ô Véna, n’oublie point les règles de la justice : ta conduite n’est pas celle des sages. Oui sans doute, tu appartiens à la famille d’Atri ; mais tu dois te dire à toi-même : mon devoir est de régner sur mes sujets. » Ainsi parlèrent les Maharchis. Véna, ignorant et insensé, leur répondit en riant :

« Quel autre que moi a créé la loi ? quel autre a le droit de se faire écouter ? Quel autre est pareil à moi sur la terre pour l’instruction, la force, la pénitence, la vertu ? Aveugles, insensés que vous êtes, vous ne voyez donc « pas que je suis au-dessus de tous les êtres, au-dessus de toutes les lois ? Si je voulais brûler la terre, ou l’inonder, ou bien bouleverser la nature, qui pourrait y trouver à redire ? »

Voyant qu’ils ne pouvaient éclairer l’esprit de Véna ni guérir son orgueil, les Maharchis se mirent en colère. Ce fut alors que malgré sa force l’impie commença à trembler. Dans leur sainte indignation, ils le saisissent, et battent les humeurs[4] de sa jambe gauche. De la jambe du roi ainsi remuée

  1. Mrityou ou Câla est la Mort personnifiée ; il était fils d’Adharma (l’Impiété).
  2. C’est le mot que l’on prononce en jetant dans le feu du sacrifice le beurre fondu. Dans les sacrifices offerts aux mânes, c’est le mot swadhâ qui est employé.
  3. Du jus de l’asclepias acida on forme un breuvage que l’on offre dans les sacrifices, et dont boit ensuite le sacrificateur. Ce breuvage porte le nom de soma.
  4. Le lecteur a déjà vu que ce conte est une allégorie, non pas astronomique, mais histo-