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[Lect. VI.]
INDE. — POÉSIE LYRIQUE.

boive à la coupe consacrée le soma qui renferme tant de biens.

4. Eh quoi ! il a grandi, celui que (cette mère) a porté depuis des milliers de mois et pendant de nombreux automnes. Il n’est rien qui puisse lui être comparé sous le ciel parmi les choses qui sont nées ou qui doivent naître.

5. Méditant la mort (de Vritra), dans sa retraite mystérieuse la mère a fait Indra et l’a doué de force. Ainsi a paru ce dieu tout revêtu de splendeur ; à peine né, il a rempli le ciel et la terre.

6. Arrivent les Ondes retentissantes ; elles font entendre un bruit respectueux. Elles semblent dire : « Quel est ce prodige ? » Et bientôt elles percent la montagne qui les enveloppait.

7. En voyant (le coup qu’il a frappé), elles poussent un cri de surprise. « Si Indra a commis un crime, » (dit la mère,) « que les Ondes l’emportent. Mon fils, en tuant Vritra avec sa grande arme, a créé ces torrents. »

8. C’est au milieu de la joie des libations que ta jeune (mère) t’a mis au monde, que Couchavâ[1] t’a dévoré, que les Ondes ont joué autour de ton berceau : c’est au milieu des libations qu’Indra s’est élevé avec puissance.

9. Au milieu de la joie des libations, ô Maghavan, Vyansa[2] est venu percer tes mâchoires. En te sentant blesser, tu t’es redressé dans toute ta force, et tu as de ton arme brisé la tête du brigand.

10. Ainsi la Vache (du sacrifice) a enfanté le robuste et impétueux Indra, vaillant, généreux, incomparable. L’invincible nourrisson aspirait à marcher seul : sa mère lui a laissé sa liberté.

11. « Hélas ! » disait cette mère à ce héros, « mon enfant, tous ces dieux t’abandonnent. » Au moment de tuer Vritra, Indra s’écria : « Vichnou, tu es mon ami, tu peux poursuivre ta marche[3]. »

12. Qui oserait prétendre à rendre ta mère veuve ? Qui concevrait la pensée de te tuer, soit endormi, soit éveillé ? Quel dieu te surpasserait dans le soin de faire notre bonheur, quand on te voit saisir par le pied ce père[4] (de tous les Asouras), et lui donner la mort ?

13. Dans l’excès de la misère j’ai mangé de la chair de chien, et parmi les dieux je n’ai trouvé de protecteur (qu’Indra). J’ai vu ma femme humiliée. C’est (Indra) qui, (tel que) l’épervier, a daigné prendre le miel de mon sacrifice[5].




LECTURE SIXIÈME.

HYMNE I.

À Indra, par Vamadéva.

(Mètre : Trichtoubh.)

1. Ô Indra, qui portes la foudre, tous les dieux protecteurs et dignes de nos hommages, le Ciel et la Terre t’invoquent en ce moment pour obtenir la mort de Vritra, toi (dieu) unique, grand, immense, magnifique.

2. Tu es pour les Dévas tel qu’(un jeune fils) pour des vieillards. Indra, sois un roi né au sein de la justice. Donne la mort à Ahi, qui emprisonne les ondes. Fends les nuages qui portent en leur sein l’abondance.

3. L’insatiable Ahi, lourd, ignorant, insensé, dormait près des sept torrents, dont il fermait la source. Ô Indra, tu l’as frappé de ta foudre au défaut de la jointure[6].

4. Comme le vent par sa violence (trouble) l’eau, Indra par sa force a troublé l’air et la terre. Connaissant sa vigueur, il a brisé les corps les plus durs et abattu la tête des montagnes.

5. Tels que les femmes qui (courent) vers leur nourrisson, les Vents s’empressent vers toi, et vous marchez ensemble, pareils à des chars rapides. Tu as rempli les rivières, dompté les flots, lancé les ondes prisonnières.

6. En faveur du Vayya Tourvîti[7] tu as donné à la grande terre l’abondance et la fertilité. L’onde

  1. C’est, dit le commentaire, une Rakchasî. Je crois que par ce mot on désigne la terre sèche et altérée.
  2. Nom d’un Rakchasa.
  3. Ainsi, dans la mythologie grecque, Jupiter combattant les Titans est abandonné des autres dieux, excepté d’Hercule (Hari) ou de Bacchus (Bhagavan). Vichnou est le Soleil, qui seconde Indra dans sa lutte contre les ténèbres.
  4. Le commentaire dit que c’est le père même d’Indra qui est frappé et tué par son fils. Ce sens m’a paru hasardé. Je ne connais pas la légende qui pourrait y donner lieu. Cependant si ce sens était préféré, il faudrait modifier ainsi la traduction du commencement de la strophe : « Qui a (comme toi) rendu sa mère veuve ? »
  5. Voy. plus bas, page 247, col. 2, note 2.
  6. Le texte porte aparwan, que le commentateur rend par pôrnamâsi, oubliant que le jour de la pleine lune est précisément un parwan. J’ai pensé que ce mot représentait la fissure du nuage, au moment où la foudre le déchire : c’est un endroit où il n’y a point de nœud de jointure.
  7. Voy. page. 76, col. 1, note 6.