Aller au contenu

Page:Lanson - Boileau, 1922.djvu/135

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
131
LA CRITIQUE DE BOILEAU.

ne s’objective pas toute seule, sans grand labeur et contention d’esprit. Boileau relevait vivement, dans une lettre de Huet, cette méprise qui dans la beauté des ouvrages donnait tout au sujet, rien à l’art et à l’auteur. Il n’y a point, selon lui, de proposition moins soutenable et plus grossière que de croire « qu’un homme, quelque ignorant et quelque grossier qu’il soit, s’il rapporte une grande chose, sans en rien dérober à la connaissance de l’auditeur, pourra avec justice être estimé éloquent et sublime ». Comme s’il ne fallait pas d’autant plus d’esprit et de talent que la chose est plus grande, pour la bien exprimer ! Comme si la « bonne foi » et la conviction suffisaient pour « n’en rien dérober à la connaissance de l’auditeur » ! Mais trouver les paroles dignes du sujet ! Mais jeter dans le discours « toute la netteté, la délicatesse, la majesté, et, ce qui est encore plus considérable, toute la simplicité nécessaire à une bonne narration » ! Mais choisir les grandes circonstances, rejeter les superflues, en un mot dire ce qu’il faut, et ne dire que ce qu’il faut ! Tout cela, le premier venu le peut-il ? Cela se fait-il par la vertu essentielle du sujet ? Ou cela est-il de l’art, et plus ou moins aisé à réaliser, selon qu’on a plus ou moins de génie, de goût et d’habileté technique ?

Quel que soit son sujet, et quoi que lui fournisse la nature, l’artiste a toujours à créer une forme, la plus vraie, la plus expressive, la plus belle enfin qu’il se pourra. Dans cette partie de l’art, l’invention individuelle ne peut se passer de l’étude : le