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LA CRITIQUE DE BOILEAU.

artistement. La poésie du bonhomme est une poésie de notaire, qui proprement, minutieusement fait l’inventaire de tous objets, meubles, lieux et personnes qu’il rencontre. Jamais réalisme plus faux et plus matériel ne s’aplatit sur la nature pour en effacer la grâce.

On voit hors des deux bouts de ses deux courtes manches
Sortir à découvert deux mains longues et blanches,
Pont les doigts inégaux, mais tout ronds et menus,
Imitent l’embonpoint des bras ronds et charnus.

Cette petite main de femme n’a-t-elle pas l’air d’avoir été barbouillée par un peintre d’enseignes ? M. Vast-Ricouard lui-même n’a pu faire mieux que Chapelain : « Les bras glissant avec grâce, le long du buste, étaient terminés par des mains dont les doigts potelés, et pourtant effilés, avaient à leurs extrémités de minuscules ongles roses, arrondis à fleur de peau. » Ces réalistes, qui n’ont pas un grain de sentiment artistique, ne se doutent pas qu’il ne suffit pas de savoir le dictionnaire et de faire le tour d un objet, et d’en coucher par écrit, sous leur nom propre, toutes les particularités visibles.

L’art est une simplification de la nature, et l’exprime moins qu’il ne la suggère : il ne s’agit pas de mettre une description dans le livre, mais une image dans le cerveau du lecteur, et tel avec deux mots donne une vision plus radieuse qu’un autre avec dix pages. Même qui veut tout dire, ne fait rien voir et ennuie : il faut savoir se borner, et laisser faire à l’imagination du lecteur, en la tou-