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le naturalisme.

cadre de cette étude, nous pouvons, comme pour la période précédente, tâcher de définir en deux mots le milieu social où se produit le naturalisme.

Ce qui donne à ce demi-siècle sa physionomie, c’est d’abord la prédominance du positivisme scientifique sur la foi religieuse, en second lieu la prédominance des intérêts matériels sur les intérêts moraux, enfin la prédominance des questions politiques sur les questions sociales.

Il semble que l’influence de Rousseau et de Chateaubriand soit épuisée : la forme religieuse, enthousiaste, qu’ils avaient rendue aux âmes, s’efface. L’Église, par une fausse manœuvre qui lui a coûté cher, s’était laissé lier aux partis politiques : elle apparaissait comme la grande ennemie de la liberté et de l’égalité. L’hostilité à l’Église était le premier principe, la première nécessité de tout libéralisme. Mais, dans la génération de 1830, beaucoup avaient séparé le christianisme du catholicisme, et l’on avait vu des républicains évangéliques, des socialistes épris de Jésus. Ceux qui ne gardaient aucune attache avec la religion portaient dans le culte de l’humanité, dans l’amour du progrès même industriel, un enthousiasme d’apôtres, des dons étranges d’attendrissement sentimental et du ravissement mystique. La pensée se réalisait alors naturellement sous forme de religion : le chef d’école était un prêtre, l’École une Église[1]. Vers 1850, les âmes se dessèchent. Les nouvelles générations croient à la science — ce sont les hauts esprits ; au succès, au bien-être — c’est le grand nombre. Positivisme scientifique, scepticisme voluptueux, matérialisme pratique, voilà les formes d’âme de très inégale valeur que la période où nous entrons offre le plus souvent.

Le second empire a été, pour notre malheur, idéaliste dans sa politique extérieure, sans l’ètre d’ailleurs avec suite et clairvoyance : dans le gouvernement intérieur, il a capté les égoïsmes, séduit les intérêts, poussé toutes les parties de la nation vers l’exclusive recherche des avantages matériels. De la doctrine saint-simonienne, si large et généreuse à l’origine, l’utopie tombant, il n’est guère resté que la forte impulsion donnée à l’activité industrielle : du grand rêve humanitaire sort un accroissement prodigieux de richesse pour les classes moyennes. Le peuple, cependant, le paysan propriétaire surtout, mais aussi l’ouvrier salarié reçoivent leur part dans l’accroissement du bien-être universel : mais cette part est si justement mesurée par un calcul de politique plutôt que par un

  1. Religion saint-simonienne, Religion positiviste ; Michelet, G. Sand. P. Leroux, J. Reynaud, etc.