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le roman.

de Taine, tel que le peuvent babiller les classes moyennes ou populaires en notre France. Dans cette vue de l’homme, rien de systématique, aucun parti-pris : Maupassant s’est regardé, jugé dans sa soif de bien-être, de jouissances, d’active expansion de son être physique et sensible ; il a regardé, jugé nombre d’individus, paysans et bourgeois, en qui il n’a rien trouvé aussi de plus.

Dans le développement de ses caractères, point d’outrance philosophique, point d’exclusion a priori de la psychologie. Ce sont des corps, mais aussi des esprits et des âmes dont il parle : il ne se prononce pas sur la cause des phénomènes, mais il lui suffit que tout le monde s’entende sur les ordres de faits désignés par les noms d’idées, désirs, affections, volontés. Il fera au tempérament sa place, rien que sa place.

Mais il n’a point de goût, ni d’aptitude aux fines études psychologiques. Au fond, le roman psychologique est analytique, le roman de Maupassant est synthétique. Il veut représenter les apparences de la vie, faisant entendre par les mouvements, par les actes, les ressorts et les forces intimes de la conscience. Il y aura quelque chose de court et sommaire dans sa psychologie ; en revanche, rien d’abstrait, rien de purement logique : tout sera solide et réel.

L’œuvre de Maupassant nous représente tous les milieux et tous les types qui sont tombés successivement sous son expérience : paysans de Normandie, petits bourgeois normands ou parisiens, propriétaires ou employés, il a dessiné des types vulgaires avec une puissante sobriété, sans férocité, sans sympathie aussi, parfois avec une sorte de dédain concentré qui donne à son récit un accent d’ironie âpre. Plus commune dans les nouvelles des premiers temps, cette nuance de comique un peu dur s’atténue dans les principales œuvres. Son champ d’expériences s’étant agrandi, il a dit, dans Bel Ami, la lutte sans scrupules pour la vie, c’est-à-dire pour l’argent, le pouvoir et le plaisir, dans le monde de la presse et de la politique ; puis il a touché les choses du cœur, dans des milieux plus délicats (Fort comme la mort). Enfin, il a paru incliner vers les sujets fantastiques, vers le merveilleux physiologique et pathologique : son système nerveux qui commençait à se détraquer, lui imposait ces visions.

Si l’on veut avoir une idée de la simplification hardie par laquelle Maupassant dégage le caractère de la réalité complexe et touffue, on devra prendre de préférence Une vie : une pauvre vie de femme, vie de courtes joies et de multiples déceptions, de misères médiocres et communes qui font de profondes blessures, vie d’espérance obstinée, indéracinable, qui, trompée par un mari, trompée par un fils, se reporte avec une navrante candeur sur le