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le naturalisme.

tour de pensée spirituel et séduisant, et son exquis sentiment de l’art. Il s’est fait en ces derniers temps le peintre des mœurs politiques de la France ; et il y a manifesté, avec l’observation la plus aiguë, une chaleur insoupçonnée, un amour passionné de la raison et de la justice : l’ironie est devenue l’arme d’un croyant, [Enfin M. Anatole France a écrit une Vie de Jeanne d’Arc en deux volumes, qui est un chef-d’œuvre. S’étant instruit patiemment de ce qu’un historien doit connaître pour traiter un pareil sujet, bien informé de tous les documents et de tous les résultats de la critique, il a essayé avec beaucoup de subtilité, de puissance et de bonheur, d’interpréter les données de fait de cette étonnante histoire : il a construit la plus fine et la plus vraisemblable psychologie de l’héroïne qui ait jamais été présentée ; il a cherché dans la reconstruction de toute la mentalité du xve siècle, chez les diverses classes, chez les Anglais et les Français, chez les principaux personnages, l’explication naturelle du miracle de la Pucelle. M. France a, dans cette œuvre de premier rang, montré de quelle façon on pouvait dans notre âge de critique et d’érudition remplacer le roman historique.]

M. Bourget[1] s’est fait le peintre du high-life : c’est le côté déplaisant de son talent. Mais il a été depuis Stendhal, le plus grand maître du roman psychologique que nous ayons eu. Lourdement, minutieusement, prolixement, mais enfin avec puissance et profondeur, il nous décrit des âmes, des états d’âmes, des formations et des transformations d’âmes ; ce que peut donner dans une âme contemporaine la situation d’Hamlet (André Cornélis), ce que peut être l’amour d’une femme du monde ou l’amour d’une coquine dans notre société contemporaine (Mensonges), ce que peut produire telle doctrine philosophique dans une âme résolue à conformer sa pratique à son idée (le Disciple), etc. Et il y a bien, dans ce dernier roman, les cent cinquante pages d’analyse les plus étonnantes qu’on ait écrites, lorsque M. Bourget fait l’éducation de son « disciple », notant toutes les circonstances et influences qui déterminent le caractère, de la première enfance à l’âge d’homme. Là, le roman redevient vraiment ce que Taine souhaitait, un document d’histoire morale[2].

  1. M. Paul Bourget (né en 1852). Principaux romans : Cruelle Énigme (1885) : Crime d’amour (1886) ; André Cornélis (1887) ; Mensonges (1887) ; le Disciple (1889) ; Un Cœur de femme (1890) ; la Terre promise (1892) ; Cosmopolis (1893). Autres ouvrages : Essais de psychologie contemporaine, 2 séries, 1883-85 ; Études et portraits, 2 vol., 1888 ; Sensations d’Italie, 1891. — Édition : Lemerre, 17 vol. in-18. De plus, 2 vol. pet. in-12 de Poésies. — À consulter : R. Doumiec, Écrivains d’aujourd’hui
  2. M. Bourget, on ces dernières années, s’est fait comme Zola, mais en sens contraire, sociologue et prédicateur de réformes sociales. Ses remèdes, ce sont la monarchie, la religion, la hiérarchie et l’autorité ; il est le théoricien mondain de la France conservatrice. Son œuvre la plus remarquable en ce genre est l’Étape, 1902 (11e éd.).