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la littérature en formation.

peu capables de construire une philosophie générale, et dont l’activité semblait s’enfermer dans le domaine de la littérature. Tous, cependant, en ont franchi les limites un certain jour, pour tirer les conséquences pratiques de leurs idées, et s’attaquer aux problèmes politiques et sociaux.

Au premier rang, par l’importance de l’œuvre et l’originalité du caractère, se place M. Brunetière[1]. Malgré sa volonté hautement publiée de faire une construction impersonnelle et objective, ses écrits laissent deviner un fonds de pessimisme un peu amer et très énergique. Il a appliqué à l’étude de la littérature un fort tempérament de polémiste et d’orateur, une rare puissance d’abstraction, de logique et de synthèse, une grande richesse d’information bibliographique et chronologique ; et tout cela par soi-même valait déjà beaucoup : mais il y a ajouté, heureusement, des impressions fines et originales, de vives intuitions déterminées au contact des œuvres, un goût esthétique enfin aussi sur que prompt, qui lui ont fourni des matériaux excellents pour ses imposantes constructions. Il a plus que personne remis en honneur le xviie siècle et le naturalisme classique. Il a un peu durement d’abord, puis avec un excès, à mon sens, de plus en plus injuste, proclamé l’infériorité littéraire du xviiie siècle, comparé à son devancier. Il a fait une rude et efficace guerre au naturalisme français : il a anéanti les prétentions tapageuses et confirme les titres durables du roman contemporain. Il a défendu l’autorité et la tradition, en marchant assez librement dans des voies nouvelles. Il a toujours recommandé l’objectivité de l’œuvre d’art, le respect de la nature fidèlement rendue, et il a toujours affirmé que les œuvres d’art valent par les idées qu’elles traduisent, par la force morale qu’elles contiennent. Venant après Taine, il a ouvert et rempli un chapitre nouveau de l’histoire de la critique. En appliquant la doctrine de l’évolution à la littérature il a obtenu deux résultats : évaluer plus justement la pression des œuvres déjà écrites sur les esprits qui créent ensuite d’autres œuvres, faire saillir par conséquent parmi toutes les causes de détermination la force de la tradition littéraire ; ensuite, et surtout, laisser à l’individualité son libre jeu, marquer nettement, toutes les causes étant définies et classées, ce que l’accident imprévu d’un grand homme qui survient peut apporter de per-

  1. Ferdinand Brunetière (1849-1907), de l’Académie française, maître de conférences à l’École normale supérieure, directeur de la Revue des Deux Monde, le Roman naturaliste, 1883 ; Histoire et littérature, 3 séries, 1884-1886 ; Questions et nouvelles questions de critique, 1890. Études critiques sur la littérature française, 1880-1899 l’Évolution des genres dans l’histoire de la littérature française (évol. de la critique), 1890 ; les Époques du théâtre français, 1892 ; l’Évolution de la poésie lyrique, 1894 ; Discours de combat, 1900. H. de Balzac, 1906. Histoire de la littérature française classique, en cours de publication depuis 1905.