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le théâtre du quinzième siècle.

Or cette idée nous vint non de l’antiquité, mais de l’Italie, qui en avait fait briller déjà une étincelle dans la poésie de ce demi-italien, le prince Charles d’Orléans : l’Italie nous révéla l’art de l’antiquité. La Renaissance française est un prolongement et un effet de la Renaissance italienne : la chronologie seule suffirait à l’indiquer.

La rencontre de la France et de l’Italie se fit dans les dernières années du xve siècle : il ne s’agit plus de quelques individus qui portent ou rapportent chez nous quelques lueurs de civilisation ultramontaine. C’est l’armée de Charles VIII, toute la noblesse, toute la France, qui se jette sur l’Italie : après, c’est l’armée de Louis XII : après, c’est l’armée de François Ier. Cinq ou six fois en une trentaine d’années, le flot de l’invasion française s’étale sur la terre italienne, et se retire sur le sol français : vers 1525, la pénétration de l’esprit, de la civilisation d’Italie dans notre esprit, notre civilisation, est chose faite, et notre race a fécondé tous les germes qu’elle portait en elle [1].

Je ne puis faire ici le tableau de la Renaissance italienne : je dois me borner à rappeler brièvement ce qui explique le soudain agrandissement de notre littérature. L’Italie la première avait retrouvé les deux clefs de l’antiquité : elle avait compris la vérité, senti la beauté des œuvres anciennes. Le christianisme poussait toujours hors de la nature, ou contre la nature : l’antiquité ramenait à la nature, et faisait voir la puissance de la raison. Elle révéla aussi le prix de la forme et l’intime parenté de la littérature et des beaux-arts.

Aux Latins, toujours présents et vénérés, elle avait, dans le cours du xve siècle, ajouté les Grecs : si superficiellement que soit hellénisée la Renaissance, si clairsemés qu’aient toujours été les vrais hellénistes, en Italie et ailleurs, cependant l’action des Grecs fut immense et heureuse : de Platon découvert et d’Aristote mieux compris, d’Homère et de Sophocle, sont venues les plus hautes leçons de libre pensée et d’art créateur, et ils ont peut-être le principal mérite de l’heureuse évolution par laquelle la Renaissance, échappant aux creux pastiches et aux grâces bâtardes, atteignit l’invention originale et la sérieuse beauté.

Appuyée sur l’antiquité, l’Italie prenait confiance en la nature

  1. À consulter : Michelet, Histoire de France au xvie siècle, Renaissance ; Burckhardt, la Civilisation en Italie au temps de la Renaissance, trad. Schmitt, 2 vol. in-8, 1885 ; Faguet, xve siècle, 1894, in-12. Avant-propos ; J.-E. Spingarn, A history of Literary criticism in the Renaissance, 1899 ; E. Picot, les Français italianisants au xvie siècle, ? vol., 1906-1907 — Il faut ici se garder des généralisations imprudentes. Ce que je dis de la littérature ne serait pas vrai de la peinture et de la sculpture, qui étaient loin d’être réduites à la même stérilité à la fin du xve siècle, et dans lesquelles l’élégance italienne du xve siècle donna parfois de funestes leçons à nos artistes, surtout en peinture, où les modèles anciens manquaient pour balancer et corriger cette influence.