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origenes de la littérature française.

Enfin, pour achever de caractériser le développement de la langue française, elle fera incessamment, en France même, une lente conquête, celle des provinces, non plus du territoire mais de la pensée, conquête intérieure, et non la moindre, car c’est celle-là surtout qui l’enrichira et l’élèvera. Elle disputera au latin les matières de science haute et ardue ; elle prétendra au privilège de traduire les plus graves et les plus nobles idées : histoire, morale, philosophie, théologie, science, tous les genres lui appartiendront un jour, et son extension coïncidera avec l’étendue de l’esprit français. Mais il faudra des siècles pour mener à bien cette conquête qui ne sera vraiment achevée qu’au siècle de Louis XIV.


2. CARACTÈRE DE LA RACE.


Il ne nous appartient pas — et il serait sans doute infructueux — de rechercher ce qui nous est parvenu du sang ou de l’humeur de nos aïeux celtes et gaulois, dans quelle mesure précise, de quelle façon la conquête romaine et l’immigration franque ont modifié le tempérament de la race, où s’étaient déjà mêlés plusieurs éléments. César et Strabon nous font un portrait des Gaulois de leur temps, où certains traits nous permettent de nous reconnaître : le courage bouillant et inconsidéré, le manque de patience et de ténacité, la soudaineté et la mobilité des résolutions, l’amour de la nouveauté, un certain sens pratique, et la pente à se mêler des affaires d’autrui pour la justice, le goût de la parure et de l’ostentation, celui de la parole et de l’éloquence, tout cela est français, si l’on veut, autant que gaulois. Mais au delà des ressemblances d’humeur, si l’on veut saisir la filiation intellectuelle, on se trouve singulièrement embarrassé. Ou les Gallo-Celtes qui habitaient notre pays ne ressemblaient guère aux Celtes de Grande-Bretagne et d’Irlande, ou leurs descendants de France ne leur ressemblent guère. Car un abime sépare aujourd’hui le génie celtique[1] de l’esprit français.

Il serait aussi téméraire de rechercher dans l’éloquence et dans la poésie gallo-romaines une première ébauche du goût français. Car il s’en faut que, dans la latinité de l’époque impériale, les écrivains gaulois fassent un groupe aussi tranché, aussi caractérisé que les Espagnols et surtout les Africains, et l’on ne trouverait rien chez eux qui ne se rencontre fréquemment chez des Italiens ou chez des Grecs : tout ce qu’il est permis d’inférer de

  1. Renan, Essai sur la Poésie des races celtiques. — Cf. aussi Bertrand, Nos origenes, 4 vol. in-8, Leroux.