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les tempéraments.

s’égare étrangement dans les procédés d’exécution, dans le passage du principe à l’œuvre. Il s’est trompé d’abord, ici encore, sur la définition du genre : il n’en a pas saisi l’essence, il n’a su que cataloguer les sujets traités par les anciens (notons que Boileau ne fera guère mieux). Ainsi il assigne à la poésie lyrique « l’amour, le vin, les banquets dissolus, les danses, masques, chevaux victorieux, escrimes, joutes et tournois, et peu souvent quelque argument de philosophie ». Sauf les « chevaux victorieux », il va de parti pris construire des odes sur tous ces thèmes, les « patronnant » sur la magnificence de Pindare, dont il tente de reproduire même les rythmes. De là ces odes pindariques avec leur monotone succession de strophes, d’antistrophes et d’épodes : division qui ne répond à rien pour nous, puisque, même chantées comme il le voulait, les odes de Ronsard ne règlent pas leur mouvement sur les évolutions d’un chœur. Tous les vers de la strophe et de l’antistrophe étant égaux, la correspondance rythmique n’est plus marquée que par la succession des rimes qui ne la fait pas sentir suffisamment : la strophe et l’antistrophe se fondent en une longue strophe, assez longue pour rendre insensible l’identité des épodes qu’elle sépare.

Puis la même diligence érudite que dans la Franciade a étouffé l’inspiration sous les réminiscences, sous la mythologie indifférente ; et pour reproduire la phrase brusque, magnifique et non vulgaire de Pindare, l’ode française s’est chargée de formes lourdes, dures et obscures. Cependant tout, ici, n’est pas à condamner : qu’on prenne la plus fameuse des odes pindariques, l’Ode à Michel de l’Hôpital, énorme machine de vingt-quatre strophes, antistrophes et épodes, et de huit cent seize vers : on y trouve, pour la première fois, un long poème d’une structure achevée, un rude effort de composition ; on y trouve du mouvement, et de ce mouvement lyrique qui tient à l’organisation rythmique, de l’éloquence aussi, une éloquence qui tient à la hauteur, au sérieux, à la sincérité de la pensée. Malherbe est déjà là dedans.

On ne peut dire que l’immense effort des odes pindariques ait été du tout perdu pour Ronsard : cette rude gymnastique le fit maître de ses rythmes ; il n’eut qu’à mettre de côté l’antistrophe et l’épode, pour avoir à sa disposition une belle forme lyrique. Mais dans les odes non pindariques, ainsi que dans les hymnes, élégies et poèmes divers qui font partie des œuvres, une certaine incohérence, un manque d’équilibre et d’harmonie éclatent. L’œuvre est inégale et mêlée, parce qu’une contradiction fâcheuse est au fond du génie même qui la crée. Il y a conflit entre l’intelligence et la sensibilité du poète. La perfection des classiques viendra de ce qu’ils emploieront l’imitation de l’antiquité à la manifestation