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la première génération des grands classiques.

sance d’être un artiste : il fit œuvre de théologien, de philosophe, de logicien, jamais pour ainsi dire œuvre d’écrivain ; dans aucune de ses polémiques, il ne fit un de ces livres « absolus » qui dépassent l’occasion d’où ils naissent et lui survivent. Il a trop écrit et trop vite, avec un désintéressement littéraire que ne compensait pas son tempérament. Nicole [1], son second dans mainte querelle, son collaborateur dans la Logique de Port-Royal, moins fougueux et moins infatigable que lui, doit à Mme de Sévigné d’être encore connu : c’est elle qui a préservé de l’oubli les Essais de ce moraliste sensé, sans profondeur et sans éclat.

Toute la force et toute la gloire littéraires de Port-Royal, en somme, si l’on met Racine à part, sont ramassées dans Pascal : il représente pour nous toute la hauteur intellectuelle et morale de la doctrine janséniste, qu’il agrandit de la vaste originalité de son génie.


3. VIE DE PASCAL.


S’il est inutile pour comprendre le théâtre de Corneille d’étudier les circonstances de sa vie, la biographie de Pascal est inséparable de son œuvre ; il n’y a pas d’écrivains qui soit plus engagé dans ses livres de toute sa personne et de toutes les parties de son humanité.

Blaise Pascal [2] est né à Clermont, le 19 juin 1623, troisième enfant d’Étienne Pascal, président à la cour des aides de Clermont. En 1631, son père s’établit à Paris ; il s’occupe de sciences physiques et mathématiques ; et des savants, le Père Mersenne, Roberval, fréquentent sa maison. À douze ans, le petit Blaise, dont on ménageait la délicatesse, donne de telles marques de son goût pour les mathématiques, que son père se décide à le laisser s’y appliquer librement : à seize ans, un de ses travaux, un traité des sections coniques, étonnait Descartes ; puis il s’occupe d’applications pratiques ; il construit une machine à calculer. Son instruction littéraire paraît avoir été fort courte ; de ce côté Pascal est un « ignorant » de génie : c’est l’effet qu’il produira plus tard à tout le monde. De bonne heure, dès 1641, épuisé de travail, il ressent les atteintes de la maladie qui n’aura pas sur le fond de son œuvre l’influence capitale qu’on prétend parfois, mais qui, du moins, exaspérant sa sensibilité, donnera à son style un frémissement singulier.

  1. Nicole (1628-1695) suivit Arnauld en exil, mais se lassa et obtint de l’archevêque de Paris la permission de rentrer à Paris. Les premiers Essais de morale et instructions théologiques parurent en 1671.
  2. Éditions : Provinciales : éditions séparées, en feuilles, du 23 janvier 1656 au