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la première génération des grands classiques.

plus grands. Il l’est, comme tous les autres, parce qu’il est obstinément réaliste : son imagination représente les réalités concrètes dont sont extraites les abstractions sur lesquelles il opère ; — et parce qu’il est profondément sensible : chaque acte de sa pensée, chaque idée qu’il conquiert met en jeu, exalte on blesse toutes les émotions, les affections de son âme singulièrement délicate. Il vibre, gémit, jouit dans tout son être de ce qui occupe à chaque moment sa raison.

Mais l’originalité poétique de Pascal, c’est le caractère, si je puis dire, métaphysique des inquiétudes et des images qui jettent ces flammes intenses dans son style. Jamais il n’est plus poète, plus largement, plus douloureusement, ou plus terriblement poète que lorsqu’il se place en face de l’inconnaissable. « Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. » Et ailleurs, toute cette poursuite, angoissée et superbe, de l’inaccessible infini et de l’inaccessible néant. Ici d’amples raisonnements, là un mot saisissent l’imagination frissonnante. Il faut lire aussi, dans la dernière moitié des Pensées, nombre de morceaux, où s’exalte et crie l’âme de Pascal, en face du mystère chrétien, mystère qui fait sa certitude, et où pourtant il s’abîme, mais avec quelles délices et quel triomphe ! Pascal est un grand poète chrétien, à placer entre sainte Thérèse et l’auteur inconnu de l’Imitation ; tant il a rendu avec force la poésie de la religion : non la poésie extérieure, mais la poésie intime, personnelle, qui coule de l’âme croyante et unie à son Dieu. La tendresse même et la suavité ne lui ont pas fait défaut : il a vu même le Christ de douceur et d’amour. Il a rendu surtout l’appel ardent, impérieux, désespéré à la fois et confiant, de l’âme pécheresse au Rédempteur : son Mystère de Jésus est un poème d’une grandiose et bizarre sublimité.

Que de choses resteraient à dire encore ! Mais Pascal n’est pas de ces auteurs qu’une étude peut épuiser. Il est du petit nombre que la lecture seule révèle, et qui, une fois lus peuvent toujours se relire, découvrant, suggérant toujours de nouvelles idées à l’esprit attentif [1].

  1. Dans une étude plus ample que celle-ci, il faudrait étudier de près les écrits scientifiques, opuscules et lettres de Pascal ; eu y trouverait, outre une vive image de son humeur et de sa figure morale, l’idée nette de sa méthode et de sa logique. (Distinction des méthodes selon les objets à connaître ; à chaque ordre d’objets sa méthode spéciale. On se trompe, si l’on raisonne sur les choses de fait, dont les sens et l’observation sont juges ; ou si l’on emploie l’autorité à les établir. Observation, raisonnement, autorité : trois moyens également légitimes de certitude, si on les applique à propos. Dans le raisonnement de Pascal, noter l’habitude de poser les termes contraires et qui semblent s’exclure, pour en composer la vérité totale : l’erreur, c’est ordinairement de faire d’une vérité partielle la vérité totale : sceptiques, dogmatiques ; calvinistes ; jésuites. Ceux qui vient le vrai, affirment le deux vérités contraires : chrétiens, jansénistes.)