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les grands artistes classiques.

éviter l’écueil du positivisme littéraire, qui est la négation et la suppression de l’art. C’est là que conduisait le rationalisme cartésien, qui, traitant scientifiquement la poésie, devait méconnaître la nature et la valeur de la forme poétique : n’y voyant que les signes des idées, il n’y exige que la clarté et la justesse, il la réduit à un système d’abstractions. Grâce aux modèles anciens, qu’il eut le mérite de comprendre et de sentir comme œuvres d’art, Boileau maintint la notion de l’art dans la littérature.

À vrai dire, la transformation de son naturalisme scientifique en naturalisme esthétique ne se fit pas sans quelque peine. La soudure des deux doctrines n’est pas toujours très bien faite, et l’on sent un peu de difficulté à mettre partout d’accord la vérité, équivalent rationnel de la nature, avec la vraisemblance, qui en est l’expression artistique. Cependant on saisit sa pensée à travers l’insuffisance de l’expression : il faut la vérité, et il faut la vraisemblance ; la vraisemblance, c’est la vérité rendue sensible par une forme d’art.

On a souvent attaqué Boileau sur la part qu’il faisait à l’art. On lui a reproché d’étouffer l’imagination par des règles sévères : rien de plus indiscret et de plus faux. Enseigner le dessin, ce n’est pas comprimer, c’est armer le génie du peintre. Si on relit le début de l’Art poétique, on y trouvera sans peine que Boileau exige du poète la vocation, le don naturel et spontané. Il croit même — avec raison — que les aptitudes poétiques sont spécialisées pour l’un ou l’autre des principaux genres : on est épique, ou élégiaque, ou dramatique. Si l’on n’est pas né poète, il ne faut pas faire de vers, et si l’on n’est pas né poète épique, il ne faut pas faire d’épopée. Cela dit, Boileau passe. Pourquoi ? parce qu’il n’y a pas d’enseignement qui donne le génie. Il s’adresse à ceux qui l’ont, et il va leur apprendre le métier.

Est-il utile aujourd’hui de justifier l’importance que Boileau attribue au métier, de prouver que le génie ne dispense pas du métier, et qu’il n’y a pas de chef-d’œuvre sans métier ? Jamais Boileau ne fut plus artiste que dans son estime de la technique. Tout le premier chant de l’Art poétique n’est qu’une exposition des procédés essentiels de la technique classique. Il pose les lois de la versification, qui sera correcte d’abord, mais aussi harmonieuse, expressive ; il pose les lois du style, qui sera correct et clair, mais efficace et expressif, les lois de la composition qui sera juste et proportionnée : vers, langage, plan, ce sont trois moyens, qui doivent concourir à approcher l’objet naturel, sans le déformer, de l’esprit du lecteur.

Puis il passe aux genres : les genres, subdivisions des arts, sont comme eux des conventions qui font abstraction d’une partie des caractères naturels pour en mettre quelques-uns en lumière. Les