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racine.

plus fortement : l’objet est toujours une résolution à prendre, qui est prise, rejetée, reprise, autant de fois que s’exercent l’impulsion ou l’inhibition, jusqu’à ce qu’une secousse plus forte amène l’action définitive. Etudiez Phèdre, la grande passionnée : amour, pudeur, espoir, honte, remords, jalousie, repentir, il n’y a rien, dans ce rôle si riche, qui soit donné simplement comme modification sentimentale de l’être intime ; tout est évalué comme quantité d’énergie, produisant un certain travail, pour éloigner ou approcher tour à tour le personnage d’une action irréparablement bonne ou mauvaise. Voilà comment la sensibilité se peint chez Racine non par des effusions lyriques, mais par des vibrations dramatiques ; et sa tragédie est une suite de coups de théâtre et de révolutions.

En un sens Racine resserra le domaine de la tragédie : il ne crut point suffisant, comme Corneille, de présenter des caractères ; il estima nécessaire de les saisir dans la passion, et même dans une crise aiguë de passion. Il est certain qu’en vingt-quatre heures, une âme ne se montre pas naturellement tout entière et jusqu’au fond, si quelque violente agitation ne la remue. À la tragédie de caractère, telle que de plus en plus la pratiquait Corneille, Racine substitua donc la tragédie de passion.

Peintre de la passion, il réagit contre Quinault sans revenir à Corneille. Il laissa la tragédie politique, la psychologie des sentiments médiocres et des caractères froids ; mais il chassa de la scène la fade galanterie On lui a reproché d’avoir modernisé tous ses sujets, et l’on n’a voulu voir en lui que le peintre des mœurs de cour, affinées et polies : il est vrai que quelques-uns de ses jeunes premiers, Xipharès ou Bajazet,

Tendres, galants, doux et discrets,

ont un peu l’air de courtisans français, très idéalisés. Mais nous verrons que Racine a beaucoup mieux regardé qu’on ne dit communément les mœurs locales, la couleur particulière de chacun de ses sujets. Taine rêvait qu’on représentât Iphigénie dans la grande galerie des glaces, en costumes du temps de Louis XIV : il aurait pu aussi bien demander une représentation de Jules César en costumes du temps d’Elisabeth ; César, Burrhus, Antoine, et ce mob qui hurle pour ou contre César, tout cela est aussi anglais qu’Iphigénie est française.

Prenons le témoignage des contemporains : Quinault les satisfaisait, et Racine leur fit l’effet d’un brutal. Ce Pyrrhus que nous trouvons coquet, galant, les choquait comme un malappris, et Racine était obligé d’écrire cet avertissement : « Le fils d’Achille