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bossuet.

de s’étonner que ce prêtre n’ait pas pensé comme un athée, il vaut mieux remarquer combien sa pensée a su garder de largeur et de liberté sans sortir de l’orthodoxie, et que nulle vérité ne lui a fait peur. C’est qu’il avait la plus fine logique, pour tout réduire et tout ramener à la doctrine révélée.

Et de là vient la solidité de son œuvre. Elle est absolument catholique, et pourtant, le catholicisme ôté ou nié, elle ne s’évanouit ni ne s’écroule. C’est que cette œuvre catholique est une œuvre de science rationnelle et expérimentale. Bossuet semble tout prendre de l’Écriture et de la tradition de l’Église : en fait, aucune réalité vivante, aucune vérité manifeste n’a été volontairement négligée par lui ; ce prêtre s’est nourri des inventions de la raison profane et même païenne. La meilleure substance de l’antiquité gréco-romaine a passé dans son esprit ; il découvre dans la Bible ou l’Évangile les pensées d’Aristote ou de Platon ; il emploie Lucrèce à commenter la Genèse. En un mot, avec une entière sincérité, mais aussi avec une race adresse, il fait entrer dans le système de la religion toutes les vérités acquises depuis des siècles par la raison laïque.

Son style tire sa perfection de son absolue et candide probité. Il ne faut pas se laisser égarer par quelques passages pompeux des Oraisons funèbres : le plus ordinairement, Bossuet est très simple. Dans les controverses, dans les expositions de faits, dans les discussions critiques, il a une brièveté, une rapidité, une négligence même, qui répondent bien peu à la définition banale de son style, qui passe pour uniformément sublime et pompeux. La qualité dominante, et l’on pourrait dire unique, de ce style, c’est la propriété ; il ne vaut que parce qu’il rend la pensée de l’homme. Mais il la rend toute, c’est-à-dire non pas seulement l’idée pure, l’élément intelligible, mais tous les éléments sensibles qui l’enveloppent, lui donnent corps et couleur, émotions du cœur, formes de l’imagination, et jusqu’aux plus délicates vibrations de la personnalité intime. Tout Bossuet passe dans son style, et de là vient, comme nous le verrons, que l’orateur se double sans cesse d’un poète. Dans ce style se retrouve aussi la double inspiration que je signalais dans la pensée de Bossuet : non seulement il cite l’Écriture, mais il se l’est incorporée, et à chaque page se présentent des tours, des images, plus ou moins directement et sensiblement émanés des livres saints. C’est même en grande partie, de ce commerce intime avec les écrivains bibliques et évangéliques, que vient la qualité originale de son style, unique entre tous dans la littérature classique. Mais il a eu pour maîtres aussi tous les anciens, les Latins surtout ; jamais l’empreinte dont ils l’avaient marqué ne s’est effacée.