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la jeunesse de voltaire.

du lendemain de la mort de Louis XIV à la veille de la Révolution. Il est impossible de prendre en bloc un tel homme. Cette souple nature s’est développée à travers trois quarts de siècle, recueillant toutes les influences, frémissant à tous les souffles ; les acquisitions, les transformations, les progrès de cet esprit sont exactement les acquisitions, les transformations, le progrès de l’esprit public ; et il n’a été si puissant que parce que son développement interne coïncidait avec le mouvement des idées de la nation : son rôle fut de lancer aux quatre coins du monde les pensées fraîchement écloses dans toutes les têtes. Il importe donc de soumettre à une exacte chronologie l’étude qu’on fait d’une si vaste et compréhensive personnalité.

Une grande division tout d’abord s’impose. Le xviiie siècle se coupe à peu près par le milieu : or il en est justement de même chez Voltaire. Son établissement aux Délices (1755) partage nettement sa vie et son œuvre en deux, et chacune des parties offre les caractères généraux des parties correspondantes du siècle. Avant 1755, la littérature pure tient une grande place dans la vie de Voltaire ; il est alors la gloire poétique de la France, l’auteur de la Henriade, de Zaïre et de Mérope. Dans une existence agitée, tumultueuse, à travers deux prisons, des fuites, des exils, des alertes, des triomphes de salon et des faveurs de cour, Voltaire fait son éducation de philosophe : son séjour auprès de Frédéric est la dernière expérience qui achève de le former. À son retour en France, il est mûr, il est armé. Retranché dans sa maison, il laisse venir à lui le monde : du fond de son cabinet, il le domine par l’omniprésence de son esprit. Le littérateur, le poète, s’effacent devant le philosophe, s’y subordonnent : il mène l’assaut général de l’Église et de l’ancien régime. Le Voltaire idolâtré des libres penseurs, abhorré des croyants, le maigre vieillard au masque grimaçant, à l’ironie diabolique, enfin le légendaire « patriarche », c’est le Voltaire de la seconde période.

Étudions donc ici d’abord ces quarante années à peu près de travail littéraire, qui sont en même temps les « années d’apprentissage » de Voltaire (1715-1755).


1. VOLTAIRE AVANT 1734.


M. de Voltaire [1] est de son nom François Arouet, fils de maître Arouet, ancien notaire au Châtelet et receveur des épices à la Chambre des comptes. Il fait ses études à Louis-le-Grand, chez les

  1. Né à Paris, le 21 novembre 1694.