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les tempéraments et les idées.


4. LES IDÉES DE VOLTAIRE AVANT 1755.


Jusqu’à son établissement aux Délices, Voltaire est un poète qui a des sentiments de philosophe. Les traits caractéristiques de sa philosophie, qui correspondent aux instincts les plus déterminés de son tempérament, apparaissent déjà épars dans la riche variété de son œuvre littéraire : elle est déjà, avant tout, et hors de toute doctrine positive, une terrible école d’irrespect et d’incroyance.

Le fond de Voltaire, c’est l’irréligion. Dès Œdipe (1718), il dit :

Les prêtres ne sont pas ce qu’un vain peuple pense ;
Notre crédulité fait toute leur science.

Le poème de la Ligue (1723) étale les misères causées par la religion. Dans Zaïre (1732) la religion est l’obstacle au bonheur préparé par la nature. Mahomet (1742) est la manifestation capitale de cet état d’esprit : la grande scène de la pièce, c’est Mahomet remettant un poignard à Séide pour assassiner Zopire ; de la fiction tragique se dégage l’idée générale que la religion — toute religion — est fondée sur la fourberie des uns et l’imbécillité des autres. Il était hardi de faire Mahomet, plus hardi de le dédier au pape, un fin compère qui prit la chose comme il faut. Pour la nouveauté, elle était médiocre : Voltaire ne fait que traduire avec une netteté plus âpre l’idée si agréablement enveloppée dans l’Histoire des oracles de Fontenelle.

Mais l’irréligion de Voltaire n’est pas fondée exclusivement — ni même primitivement — comme chez Fontenelle sur la foi dans la raison et sur le principe de la science. Elle procède de sa nature avide de jouir, et que toutes les défenses de jouir révoltent. Voltaire est d’abord l’héritier de la tradition épicurienne, qui, depuis le xvie siècle, et à travers le xviie, défend l’instinct et la volupté contre le christianisme. Une religion qui gêne la nature, qui attache du péché au désir et au plaisir, lui fait l’effet d’un monstrueux non-sens. Voilà comment le catholicisme des jésuites si confortable, si élégant, si complaisant aux raffinements, aux plaisirs, parfois aux faiblesses de l’esprit mondain, l’effarouche moins que le jansénisme, cette religion des hautes intelligences, si profonde en ses obscurités pour une raison non prévenue, mais si ascétique, si irréconciliable à toutes les délicatesses, à tous les péchés mignons de la vie riche et voluptueuse. L’avilissement du jansénisme au temps des convulsionnaires et des billets de confession, la bigoterie étroite de la secte amusent Voltaire : il se réjouit