Page:Lanson - Histoire de la littérature française, 1920.djvu/738

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
716
les tempéraments et les idées.

Incontestablement, il y a du désordre et du décousu dans l’Esprit des Lois : les derniers livres, de l’aveu de l’auteur, ont été ajoutés après coup à l’ouvrage. Cependant l’ensemble est construit sur un plan méthodique et rationnel. Dans chaque livre, une fois les principes posés, les divers chapitres sont comme des théorèmes où des cas et des problèmes soûl ramenés aux vérités précédemment établies.

J’inclinerais d’ailleurs à croire que la méthode déductive a été surtout pour Muntesquieu une méthode d’exposition et un procédé de vérification et de confirmation. Il me parait avoir, dans ses recherches, employé surtout la méthode d’observation : il a étudié les cas particuliers, puis généralisé ; sa pensée induit d’abord tout ce qui dans son livre est déduit.

Quoi qu’il en soit, que j’aie raison ou tort de trouver avec M. Barckhausen, dans l’Esprit des Lois, un ordre que jadis avec beaucoup d’autres je n’apercevais pas], le meilleur moyen de simplifier et d’éclaircir sera de dissoudre l’unité de l’ouvrage, de refaire en sens inverse le travail de Montesquieu, et de prendre l’une après l’autre les diverses tendances, et les périodes successives de son activité intellectuelle, selon qu’elles affleurent ou s’étaient dans l’Esprit des Lois. Cette détermination ne pourra se faire complètement que lorsque toutes les œuvres inédites auront paru. Mais on peut déjà l’esquisser.

Prenons Charles de Secondât de la Brède en 1716, au moment où son oncle le baron de Montesquieu lui transmet avec son nom sa charge de président à mortier au parlement de Bordeaux.

Les excellents Oratoriens qui l’ont instruit à Juilly lui ont découvert la riche source d’énergie morale qui jaillit pendant toute la durée des antiquités grecque et romaine ; les grands ouvrages de l’esprit, les coups d’héroïsme dans l’action politique ont ravi l’imagination du jeune Gascon, dont le bon sens aiguisé goûte ce qu’il y a toujours de pratique et de mesuré dans les traits les plus étonnants de l’antiquité. Ses propres études, une fois qu’il aura échappé au collège, l’affermiront dans sa passion pour l’histoire ancienne, et particulièrement pour l’histoire romaine : car, peu touché de l’art, c’est des mœurs, des caractères, des actions, de l’histoire par conséquent, qu’il s’éprend. La forme antique, qui lui plaît et qu’il essaie d’imiter ; c’est une forme révélatrice d’un caractère antique, de la gravité simple et de la sublimité habituelle. Ce Montesquieu-là n’a pas grand chose à voir dans l’Esprit des Lois [1] : après s’être répandu en plusieurs opuscules, il s’est épuisé dans les Considérations.

  1. Notez, au 1. X, le portrait d’Alexandre.