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l’époque romantique.

més et leur personnel dispersé, et plus tard avant que l’Université impériale eût solidement renoué la tradition, s’éleva librement la génération qui, vers 1820, commença d’écrire ; au reste, il était impossible de vivre au collège, comme autrefois, absorbé dans l’antiquité : et le présent disputait victorieusement au passé les âmes des enfants. Ni Hugo, ni Lamartine, ni Vigny[1], qui reçurent une instruction plus ou moins régulière ou décousue, n’en restèrent profondément marqués : rien de pareil en eux à l’empreinte que Racine garda de Port-Royal, ou même Voltaire des Jésuites. Musset et Gautier[2], d’une autre génération de collégiens, furent, selon la diversité de leurs natures, plus imprégnés, l’un de classicisme et l’autre d’antiquité ; et si le moment vint, après le débordement des fantaisies moyen âge, où l’on se reprit à traiter des sujets grecs ou romains selon l’art romantique, la restauration des études universitaires y fut pour quelque chose. A l’heure où nous sommes, leur ruine momentanée produit un résultat contraire.

Les deux circonstances que je viens d’indiquer aidèrent les jeunes esprits à s’affranchir des règles classiques, à briser surtout les formes de la langue et de la versification. Ce n’est pas sans doute un hasard si l’inspiration individualiste et lyrique, qui est le fond du romantisme, n’a paru encore que chez des prosateurs, Rousseau, Chateaubriand. Le romantisme, dans son invasion des formes littéraires, a été du moins déterminé au plus fixe, de la prose au vers, pour finir par le théâtre, où il trouvait la plus grande résistance dans l’extrême rigidité de conventions multiples. Échappant aux influences du monde et du collège, nos poètes se trouvèrent affranchis de cette crainte du ridicule, qui paralyse toutes les originalités dans la vie mondaine, et dotés sur les petits secrets de l’art d’écrire de certaines ignorances favorables à la spontanéité de l’expression. Il fallait avoir vécu loin des salons, et n’avoir pas subi le joug du discours latin, pour faire des mots la sincère et simple image de l’émotion ou de la sensation.

Nous devons enfin considérer comme circonstance favorable la chute de l’empire qui, fermant brusquement la réalité aux activités inquiètes et aux ambitions énormes, les dériva vers le rêve et l’exercice de l’imagination. Les enfants élevés entre 1804 et 1814, n’ayant pas senti les misères et n’ayant éprouvé que la fascination des victoires impériales, gardèrent sous la paix des Bourbons des exaltations, qui cherchèrent à se satisfaire par les passions lyriques et les aventures romanesques des livres[3].

  1. Nés en 1802, 1790 et 1797.
  2. Nés en 1810 et 1811.
  3. Il y a un fond de vérité dans ce qu’ont dit Vigny (Servitude militaire, ch. I) et Musset (Confessions d’un enfant du siècle).