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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Les Symphonies, 1878.djvu/290

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Vois ce sapin vieilli dont les dernières branches
Pendent au bord du gouffre avec leurs mousses blanches ;
Vois ! l’homme ose attacher à ce tronc caverneux
Et prendre pour échelle un câble au mille nœuds.
Il s’en va, jusqu’en bas, couper l’herbe nouvelle.
Sur le dos du faucheur la gerbe s’amoncelle.
Pour gravir sous ce poids l’impossible chemin,
Il saisit chaque nœud de sa robuste main ;
Il monte ; il a touché l’étroite plate-forme.
Le voilà qui dépose, enfin, sa charge énorme,
Il respire. Il repart ; entre les hauts piliers
Il suit de la forêt les détours familiers.

Déjà, sur la colline adoucie en sa pente.
Un sentier plus battu vers le hameau serpente ;
L’homme approche, et, là-bas sur ce tertre avancé,
Sa verte meule oscille à son pas cadencé.
Voyez ! le fenil s’ouvre et s’emplit ; l’herbe fraîche
Et les fleurs des sommets vont parfumer la crèche.
Tombe aujourd’hui la neige, et grondent les autans,
La vache rousse aura du foin jusqu’au printemps,
Et tes fils accroupis, se réchauffant sous elle,
Pourront s’abreuver tous sans tarir sa mamelle !

Retourne un jour encor, brun faucheur aux pieds nus,
Jusqu’à ces prés sans maître et de toi seul connus ;
Emmanches-y ton fer d’un bois que rien ne rompe ;
Puis, reviens. Du canton, là-bas, mugit la trompe.
Et, dans la gorge étroite où roulent des tambours,
J’entends les fantassins s’approcher à pas lourds.