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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/125

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LES NOCES.


Tout le pays natal à mes yeux déroulé :
Là-bas, la plaine immense où j’ai fait tant de lieues,
Nos étangs argentés et nos collines bleues,
Et ces clochers lointains qui m’ont vu presque tous
Devant leurs saints patrons m’arrêter a genoux ;
Tout ce monde à la fois si grand et si paisible,
Par où je m’élevais vers un monde invisible.
O doux pays, meilleur que tu n’es renommé,
Tu perds un de tes fils qui t’ont le plus aimé ;
Adieu ! reste béni dans les fruits que tu portes,
Moissons de pur froment, d’âmes douces et fortes !
Adieu !… »

Sa voix faiblit, une larme roula

Sur sa pâle paupière et sa bouche trembla :
Il reprit :

« Au revoir, là-haut, chez notre père…

Ne pleurez pas, priez… je crois, j’aime, j’espère…
Je meurs en plein soleil, doucement, au milieu
De mes plus chers amours !… Mère !… Pernette ! Adieu. »

Le silence, un frisson sur sa face ternie,
Une froide sueur, annonçaient l’agonie ;
Et le pasteur comprit, à des râlements sourds,
Que cette âme attendait les suprêmes secours.
Les chrétiens, prosternés et comprimant leurs larmes,
Pour aider au mourant prirent leurs saintes armes ;
La mère étroitement s’empara de son fils,
Dans ses mains, sur son cœur colla le crucifix ;
Et la pieuse foule à ce combat présente
Commença l’oraison de l’âme agonisante.