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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/130

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PERNETTE.


Tout grand nom de tribun, de peuple, d’empereur,
Taché du moindre sang, me soulève d’horreur.
L’histoire en a menti ! moi, sur nos temps d’épreuves,
J’accepte sans appel l’arrêt des pauvres veuves.

Celle qui m’a conté sa vie et ses amours
A ses ressentiments m’a conquis pour toujours ;
Il ne reste à mes yeux, de toute cette gloire,
Rien qu’une femme en pleurs, sans fils, en robe noire.

Je la retrouve encor telle qu’à mes dix ans
Je la suivais, épris de ses traits imposants.
J’obéissais près d’elle à ce charme sévère
Des êtres que l’on craint parce qu’on les révère.
Dès qu’elle avait parlé, je quittais tous les jeux.
Frissonnant au récit de ces jours orageux,
Je me serrais contre elle au bruit de la bataille.
Je la voyais géante en sa petite taille ;
Tant sous sa coiffe blanche elle avait de grands airs,
Quand ses yeux noirs brillaient de larmes et d’éclairs.

J’étais pour elle, aimé d’une intime tendresse,
L’auditeur entre tous à qui l’âme s’adresse ;
Car elle avait senti, de son tact souverain,
Chez cet enfant débile un souvenir d’airain
En qui, malgré l’effort du temps et du vulgaire,
Tous les cultes premiers ne s’effaceraient guère.
Lorsque j’avais pris place entre les écoutants,
L’histoire était plus vive et durait plus longtemps ;
Puis, le soir, pour moi seul, dans nos longs tête-à-téte,
Les reliques sortaient de l’armoire secrète.