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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/137

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LA VEUVE.

 
Je ne sais quoi soufflait dans l’esprit de la veuve ;
Sa parole plus vive abondait comme un fleuve.
Nous, à sa voix, debout, irrités, triomphants,
Nous sentions une force et n’étions plus enfants.
De Dieu, des grands devoirs, de la liberté fière
Pernette nous parlait sur la tombe de Pierre !
Nos yeux ardents brillaient d’orgueil et de courroux ;
L’âme de son héros semblait passer en nous ;
Nous prenions à témoin le ciel, les monts, la plaine,
Et nous épousions tous son amour et sa haine.

Elle nous racontait, dans ce lieu solennel,
Ce règne qui vécut d’un carnage éternel :
Les peuples écrasés comme sous une meule,
Les noirs canons broyant la chair à pleine gueule,
La terre sans moissons, les cités en débris,
Et les mères pleurant de mettre au jour un fils !
Elle disait comment, à l’abri du silence,
Parlaient et s’imposaient la fourbe et l’insolence,
Comment on adorait les horribles exploits
De ce sanglant orgueil qui remplaçait les lois ;
Comment, plus vils encor qu’aux derniers jours de Rome,
Tous les hommes léchaient les talons de cet homme.

Elle disait, enfin, Dieu lui-même insulté,
D’hypocrites respects couvrant l’impiété,
Les prêtres, subjugués par ce fatal génie,
Faisant aux livres saints prêcher sa tyrannie,
Un catéchisme impur aidant les recruteurs,
Le boucher célébré par la voix des pasteurs,
L’homme de paix captif d’un soldat qui s’en joue,
Et Jésus-Christ frappé de nouveau sur la joue.