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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/161

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AMBITION.

On a réparé là le temps que j’ai perdu ;
J’y compte des lauriers dont aucun ne m’est dû.

J’aime les habitants de ce donjon de marbre,
Car ils sortent de moi comme les fleurs de l’arbre ;
Autant que par le bras ils valent par l’esprit ;
Leur plume a fait pâlir mon plus brillant écrit,
Et, d’un coup, trouvé l’art et l’illustre matière
Que j’ai cherchés en vain durant ma vie entière.
Là fleurit le bonheur à côté du devoir.
Tout les trésors qu’on rêve et qu’on ne peut avoir,
Tous ceux que j’ai perdus et tous ceux que j’envie,
Tout ce qui m’a manqué dans cette rude vie,
L’espoir, enfin, s’ouvrant sur un vaste horizon,
Tout ce qui grandit l’âme, emplit cette maison.
Lorsque après un combat le soldat s’y désarme,
La tendresse l’accueille, un sourire le charme ;
L’élégance y rayonne, et la simplicité,
Et la grâce qui rend plus douce la beauté.
Quand j’imagine ainsi, dans mes trop longues veilles,
Ces hôtes, ce manoir et toutes ces merveilles,
Amis, ne croyez pas qu’oubliant la raison,
Je rêve d’habiter cette chère maison !
J’ai vécu, je sais mieux quelle est ma destinée ;
J’avais ma tâche, enfants, et je l’ai terminée.
Je ne prétends pas vivre en ce manoir si beau ;
Je l’aperçois, de loin, par delà mon tombeau.

Vous savez bien pour qui j’ai ces vastes pensées,
Et ces ambitions autrefois repoussées.
Vous savez si, cherchant ou le pouvoir ou l’or,
Autre part qu’en vos cœurs j’ai placé mon trésor !