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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/52

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PERNETTE.

Un obscur envoyé dont nul ne se défie. »

Or, sans quitter l’ouvrage et sans rompre une fois
Le fil du lourd tricot sous ses agiles doigts,
Sans qu’un geste, un regard trahît son âme tendre,
Pernette écoutait tout, rapide à tout comprendre.
Tenant ses yeux baissés, calme et sans s’émouvoir,
Elle dit ces deux mots :

« J’irai, c’est mon devoir.


— Toi, mon enfant ! là-haut, dans les bois, toute seule,
Comme un noir bûcheron, comme une antique aïeule ?
Je t’ai cru plus de sens. Renonce à ton dessein ;
Crains le diable et les loups ! » dit le vieux médecin.

Alors se redressant et posant son ouvrage,
D’une voix haute et ferme, et sans trouble au visage,
La noble jeune fille, honneur de la maison,
Parla selon son cœur et selon sa raison :

« Par le choix de mon père et le don de mon âme,
Devant Dieu, devant vous, ne suis-je pas sa femme ?
Nous aurons même sort ! j’ai droit de partager,
A défaut de son nom, sa peine et son danger.
Je sais pour quels devoirs, femmes, nous sommes faites ;
Je sais que de soucis et combien peu de fêtes
Deux cœurs associés pour ce voyage humain,
Même bénis du ciel, trouvent sur leur chemin.
Une femme chrétienne et noblement jalouse,
Dans le péril surtout, songe à ses droits d’épouse :
Car nous venons, hélas ! dans ce monde fatal,