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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/56

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PERNETTE.


Le torrent lumineux s’écoule devant lui,
Et bientôt à ses pieds toute la plaine a lui.

Le regard du songeur descend avec l’aurore
Vers un petit clocher dont la flèche se dore ;
Et les toits entrevus d’un village lointain
Rougissent à travers les vapeurs du matin.
C’est Pierre, et chaque jour il vient sur cette roche,
Aux confins de ce bois d’où la plaine est plus proche.
Loin de ses compagnons, là, rêveur, sans témoins,
Il voit les deux manoirs, ou les devine au moins,
Et, poursuivant du cœur une double chimère,
Il cherche à l’horizon et Pernette et sa mère.

Un bruit dans les genêts, un joyeux aboiement,
À ce demi-sommeil l’arrachent vivement.
Il regarde : un chien fauve, aussi prompt qu’une flèche,
Jusqu’à ses flancs bondit, flaire ses mains, les lèche.
A ses transports, l’ami bien vite est reconnu.
Mais quel hasard ? Si loin ! Comment est-il venu ?
Lui qui ne quittait pas l’ombre de sa maîtresse.
Et Pierre longuement le flatte et le caresse,
Ému d’un vague effroi pour ses chères amours,
Et d’un rêve plus vif croyant songer toujours.

Mais est-ce un rêve ? Au coin de ce bouquet de hêtre,
Sous sa forme élégante il la voit apparaître
Sur les rochers légère et svelte, et s’élevant
Comme un joyeux fantôme apporté par le vent.
Ebloui de surprise, enchaîné dans son gîte,
Il sourit au signal du mouchoir qu’elle agite.