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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/66

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PERNETTE.


Enfant, je m’élançai pour adorer la Muse.
Viens, ô Muse sans nom qui fais là-haut ton miel,
Muse de mon pays, mais fille aussi du ciel,
Vierge au front ceint d’airelle et de bruyère rose,
Muse invisible à tous et qui vois toute chose !
Ouvre à mes yeux obscurs, écartant le brouillard,
Les larges horizons qu’embrasse ton regard,
Et, pour voler plus près des antiques modèles,
Donne à ton faible enfant le souffle et le coup d’ailes.
Le premier je t’invoque en ces chastes déserts ;
Que ta virginité s’atteste dans mes vers.
Fais circuler, toujours, à travers ma pensée,
L’air pur de la montagne et sa vertu sensée,
Et la salubre odeur des pins de nos sommets
Qui suscite la vie et n’enivre jamais.
D’autres iront cueillir, sous des soleils torrides,
Les savoureux trésors des jardins Hespérides,
En des lieux où l’aspic rampe sous les gazons,
Où les fruits éclatants cachent de vils poisons ;
Moi, sur le maigre solde tes âpres domaines,
Je ferai des moissons plus pauvres, mais plus saines ;
Rien de bas et d’impur ne me suivra chez toi
Et j’y marcherai seul et libre, comme un roi.
Viens ! et donne à mes vers, à mes sobres images,
Un solide support fait de maximes sages ;
Que le parfum en fasse oublier les couleurs ;
Qu’on devine le roc sous le velours des fleurs ;
Que dans l’érable ou l’or, selon ta fantaisie,
De l’antique sagesse ils cachent l’ambroisie ;
Qu’enfin, dans tout ce livre, honnête et bienfaisant,
L’âme éclate immortelle et que Dieu soit présent !
C’est lui qui, ce jour-là, sous un ciel tout de flammes,