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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Pernette, Lemerre.djvu/91

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L’INVASION.


Donne tout ce qu’elle a de rustique bien-être ;
Et devant le festin les heureux combattants
Purent s’asseoir bien vite et discourir longtemps.

Après l’épanchement des intimes pensées,
Les milles questions par l’absent adressées,
L’histoire du logis, des champs et des travaux,
Les détails répétés qui sont toujours nouveaux,
Il fallut, sérieux comme en conseil de guerre,
Discuter et juger la victoire de Pierre,
Et prévoir et parer les coups de l’ennemi,
Et ne pas s’endormir à le croire endormi.

De son premier combat, salué par l’aurore,
Au cœur du jeune chef l’orgueil vibrait encore ;
En mille ardents projets, pour affranchir le sol,
Son généreux esprit se lançait à plein vol ;
Et tous, à l’écouter, dans l’indulgent cénacle,
Même le vieux docteur, croyaient à ce miracle.

La pâle inquiétude attristait cependant
La beau front du pasteur vénérable et prudent,
Qui, sans un mot de blâme ou de mauvais présage,
Parla selon son cœur et dit d’une voix sage :

« Hélas ! l’horrible guerre envahit nos hameaux ;
Mieux que par des récits nous en savons les maux,
Et les balles, déjà, les menaces infâmes,
Ont effleuré la chair des enfants et des femmes.
L’homme insultera donc toujours au cœur humain !
Toujours son propre flanc saignera sous sa main,
Et l’image de Dieu, son fils, celui qu’il aime,