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Page:Laprade - Œuvres poétiques, Psyché, Lemerre.djvu/65

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Offre un lit ondoyant qui calme et purifie,
Au corps vil de l’esclave ; à toi je me confie.
Je ne veux plus souffrir le froid, le soleil lourd,
Le fouet sanglant du maître impitoyable et sourd,
Aux sauvages tribus qui travaillent la pierre,
Préparant tous les jours leur pâture grossière,
Je n’apporterai plus les aulx et les oignons,
A travers le concert des malédictions ;
Car la haine au regard sinistre, au parler rude,
Règne entre les captifs avec la servitude.
J’abandonne ma vie à tes flots incertains.
Si mes songes sont vrais, s’il est des bords lointains
Où, comme les oiseaux, innocente et joyeuse,
Je vécus autrefois sur une terre heureuse,
Prends-moi. Si tu connais le chemin du retour,
Porte, oh ! porte mon corps vers ce pays d’amour,
Ou d’un lit éternel dote-moi sur ta rive. »

Déjà l’onde atteignait sa ceinture, et plus vive
Déjà la soulevait. Les joncs et les roseaux
Plus rares annonçaient la profondeur des eaux ;
Mais la voix du courant, de plus près entendue,
L’arrête, et sur le bord la rejette éperdue.


LE FLEUVE.

« Ne souille point mes flots du crime de ta mort ;
Le grand fleuve est sacré, car toute vie en sort.
Souvent l’esprit des dieux, pour visiter le monde,
S’étend sur mon azur et flotte sur mon onde.
Si tu viens pour mourir, et si malgré le ciel
Ton âme en moi s’exhale, un orage éternel