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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/133

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rante mille de ses mains engluées, mais tout cela tombait chez un excellent monsieur sachant l’employer. L’an passé, il eût pu jurer ses grands dieux en être venu à donner au bout de douze mois quelques cents réaux de différents côtés, une piastre par ci, un douro par là, soit à de jeunes personnes peu à leur aise, soit à d’autres pauvres gens de cette espèce ; car il était, certes, fort charitable, et aimait faire l’aumône. Oui[1] de cette manière qu’importe qu’il lui reste quelque chose aux mains ? Ce qu’on ôte aux hommes, on le donne à Dieu, si c’est ôter quelque chose aux hommes que s’approprier de petits et innocents profits venant d’eux-mêmes, comme en roulant. S’il s’agissait de quelqu’un allant sur la grande route attaquer les voyageurs, bien ; mais empocher dans le bureau même, avec toute la commodité possible, et sans le moindre risque… je suppose, par exemple, que tu sois en affaire, que de ton affaire résulte un bénéfice ; ce bénéfice, que tu l’abandonnes à un ami, pour le seul plaisir de lui être agréable ; cela me paraît fort raisonnable, tout le monde en ferait autant. Cet ami, redevable de sa fortune à une bonne intention de ta part, ne fera rien de très-extraordinaire, s’il est reconnaissant, en te laissant délicatement dans la main quelques onces… Mais non, use de scrupules, ne les prends pas ; un autre les prendra, et le pis de tout l’ami se fâchera et aura raison. Du moment qu’il est maître de son argent, lui, pourquoi le verrait-on d’un mauvais œil, le donner à qui bon lui semble, ou le jeter par la fenêtre ? En outre la reconnaissance est

  1. L’auteur au lieu d’employer ici le espagnol qui correspond au oui français emploie le mot français lui-même, en l’écrivant selon la prononciation espagnole : ui.