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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/14

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beaucoup, le plus souvent sans que personne me demande mon avis ; mais bah ! tant d’autres ne disent rien, quand on leur demande le leur ! L’un paie l’autre. Je me glisse et m’insinue de toutes parts comme un pauvret, je forme mon opinion et je la dis, à tort et à travers, comme un pauvret. Étant donnée cette première idée de mon caractère puéril et bon diable, personne ne trouvera étrange que je me trouve aujourd’hui à mon pupitre avec l’envie de parler, et sans savoir que dire, avec l’intention d’écrire pour le public, et sans savoir qui est le public. Or, cette idée qui m’arrive au moment où je sens une telle démangeaison d’écrire sera l’objet de mon premier article. Effectivement avant de lui dédier nos fatigues et nos veilles, nous voudrions connaître celui que nous en entretiendrons.

Ce mot de public que chacun a dans la bouche, toujours à l’appui de son avis, cet auxiliaire de tous les partis, de toutes les opinions, est-ce une parole vide de sens, ou est-ce un être réel et saisissable ? De tout ce qu’on dit de lui, du grand rôle qu’il joue dans le monde, des épithètes qu’on lui prodigue, des égards qu’on a pour lui, il semble résulter que ce doit être quelqu’un. Le public est éclairé, le public est indulgent, le public est impartial, le public est respectable. Il n’est donc pas douteux que le public existe. Dans cette hypothèse, qu’est-ce que le public, et où le rencontre-t-on ?

Je sors de chez moi avec mon air enfantin et badaud pour chercher le public dans les rues, l’observer, et prendre des notes sur mon carnet touchant le caractère, ou, pour mieux dire, les caractères distinctifs de ce respectable seigneur. Il me semble au premier abord, d’après le sens dans lequel on emploie