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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/43

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que désordre et anarchie ! » Elle sautait de joie et battait des mains. Cela en l’an XXIX. Je restai bouche béante ; et pensant au nombre d’illusions dont nous vivons en ce monde, « aller en arrière ou en avant, me dis-je, cela reviendra au même, tant que nous ne verrons ni ne voudrons rien voir devant nous. »

Je m’étendrais plus encore, André, sur ce sujet, si j’avais la volonté de descendre à de plus grandes profondeurs, mais je me bornerai seulement à te dire, pour terminer : nous ne savons pas ce que nous vaut notre heureuse ignorance ; par la pente glissante de notre amour-propre, le vain désir de savoir conduit les hommes à l’orgueil, un des sept péchés capitaux ; de ce vilain péché naquirent autrefois, comme tu sais, la ruine de Babel, le châtiment des hommes et la confusion des langues, et la chute même de ces fiers titans, géants colossaux, poussés eux aussi par un égal orgueil à escalader le Ciel, cela soit dit pour confondre l’histoire sacrée avec la profane, autre avantage dont nous jouissons, nous ignorants, qui mettons tout sur la même ligne.

De quoi tu pourras inférer, André, combien dangereux est le savoir, combien sont vraies toutes mes paroles ci-dessus, quant aux avantages de notre condition Batuèque sur celle des autres hommes ; combien nous devons nous réjouir de la certitude de cette proposition :

« Dans ce pays, on ne lit pas, parce qu’on n’écrit pas ; on n’y écrit pas, parce qu’on n’y lit pas. »

Ce qui veut dire en résultat : Ici on ne lit ni écrit ; et combien nous avons à remercier le Ciel de nous conduire par un chemin si rare et si inusité à notre