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Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/87

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siècle a ses vérités, comme chaque homme a un visage.

Il n’est pas nécessaire de dire que l’enfant qui s’appelait Auguste, parce qu’alors les noms de notre calendrier étaient caducs, grandit dans un sans-souci complet, car le sans-souci fut le premier souci de ce siècle.

Il lut, jugea, mêla ; il fut superficiel, vain, présomptueux, orgueilleux, entêté, et ne pensa pas à s’assujettir à plus de frein qu’on ne lui en avait imposé.

Mon beau-frère mourut, je ne sais à quel propos, et Auguste rentra en Espagne avec ma sœur tout étourdie de voir combien nous étions brutes en deçà des monts, nous qui n’avions pas eu comme elle le bonheur d’émigrer, et nous apportant entre autres nouvelles certaines, celle que Dieu n’existait pas, car on savait cela en France de fort bonne source. Quant à l’enfant, outre qu’il n’avait pas quinze ans, il prenait la parole dans les réunions, il racontait, il se mêlait à toutes les questions, il était causeur et raisonneur comme tout enfant bien éduqué ; or le cas advint qu’il entendit tous les jours parler d’aventures scandaleuses, des amours de celui-ci ou de celle-ci avec celle-là ou celui-là, et il lui parut en fin de compte que pour devenir homme, c’était chose nécessaire que de s’énamourer.

Pour son malheur il sut plaire à une jeune petite personne fort bien éduquée aussi ; la vérité est qu’elle ne savait pas gouverner une maison, mais que dans ses moments perdus, c’est-à-dire pour elle tous les jours, elle se bourrait la tête de nouvelles sentimentales, avec une affection la plus échevelée que jamais il ne s’en est vu dans le monde ; elle touchait quelque peu du piano et chantait quelque peu une ariette de