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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/105

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VIE DE FAMILLE ET DE COUR.

homme ; il le reprend avec douceur sur son goût précoce pour les gazettes, mais, en même temps, il lui mande sérieusement les nouvelles de l’armée et le considère en son absence comme le chef de la famille. Deux ans après, il l’encourage à la patience dans une maladie, le conseille dans ses études, que Boileau dirige pendant l’absence du père, et engage ce critique de quinze ans à n’être pas trop sévère pour Cicéron. Sur un essai de narration historique, le combat de Steinkerque, il le félicite d’écrire « avec une grande ingénuité » ; il l’engage à lire La Fontaine. Ce qui lui tient le plus à cœur, c’est la piété : « Croyez-moi, c’est là ce qu’il y a de plus solide au monde ; tout le reste est bien frivole. » Sur ses diverses lectures, il lui dit le fort et le faible de chaque auteur avec une justesse concise.

Mais Jean-Baptiste a quinze ans, et l’instinct poétique s’éveille en lui. Le père frémit : « Je ne saurois trop vous recommander de ne vous point laisser aller à la tentation de faire des vers français, qui ne serviroient qu’à vous dissiper l’esprit ». Bientôt le danger grandit ; Jean-Baptiste se plaint de ne pas lire assez de comédies et de romans : « Je vous dirai, écrit le père, avec la sincérité avec laquelle je suis obligé de vous parler, que j’ai un extrême chagrin que vous fassiez tant de cas de toutes ces niaiseries. » Racine a quelques mois de sérieuses inquiétudes à ce sujet, et la correspondance marque chez lui comme une honte à parler de ses pièces. Il ne veut pas écrire à son fils qu’il en a fait lui-même et que c’est son remords ; s’il le faut, il le lui dira de vive voix. En attendant, il le prie de ne lui « point