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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/129

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RETOUR À LA POÉSIE DRAMATIQUE.

mesure que le siècle marchait, l’admiration grandissait, et elle était assez forte pour triompher de l’esprit philosophique. Voltaire en voulait beaucoup à Joad. Cependant, tout en s’élevant contre le « fanatisme » du grand prêtre, il appelait Athalie « l’ouvrage le plus approchant de la perfection qui soit jamais sorti de la main des hommes ». Il y voyait « le chef-d’œuvre de l’esprit humain ».

Contentons-nous de dire avec Sainte-Beuve : « Athalie, comme art, égale tout. » L’expérience dramatique de Racine, la maturité de son génie, le flot de poésie amassé dans son âme par onze années de recueillement, son admiration pour la Bible et pour l’antiquité grecque, — car le souvenir de l’Ion d’Euripide entrait pour une part dans le caractère de Joas, — son cœur et son esprit, son art et sa foi avaient contribué à cette merveilleuse inspiration.

Il faut voir comme un épilogue d’Esther et d’Athalie dans les quatre Cantiques spirituels, imités de l’Écriture, que Racine composait quelques années après, en 1694. La veine lyrique épanchée dans les chœurs des deux pièces lui avait laissé comme un trop-plein qu’il a déversé dans ses cantiques. On les ajustement appelés le « chant du cygne », car ils sont ses derniers vers. Ils égalent les chœurs par la pure beauté de la forme ; ils les surpassent par la force vibrante de la pensée. Racine n’a rien écrit avec plus de sincérité, car il y montrait son âme même, sans le voile de la fiction, et ils respirent une ardeur de foi virile que ne pouvaient offrir les plaintes touchantes des vierges de Sion. Après les chefs-d’œuvre lyriques du romantisme, on peut