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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/139

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ORIGINALITÉ DE RACINE.

giques grecs ni Aristote n’entendaient les lois du poème tragique comme les humanistes et nos poètes classiques : la civilisation et le théâtre d’Athènes différaient trop complètement de la société et de la scène françaises pour qu’une telle parité fût autre chose qu’une illusion. Si nos poètes avaient les yeux fixés sur les modèles grecs, ils suivaient sans en avoir conscience une force supérieure à toute imitation, l’influence de leur temps. Les trois unités sont le résultat d’une fusion entre l’esprit antique et l’esprit moderne. Cette religion littéraire s’est formée, comme toute religion, par le travail de plusieurs générations sur des traditions d’abord confuses, peu à peu codifiées en corps de doctrine, enfin amenées à l’état de dogmes immuables. Volontiers les hommes croient que les théologies et les rhétoriques ont été formulées d’un seul coup. En réalité, elles sont le résultat d’un long devenir, qui se fixe à un moment de l’histoire.

C’est ainsi que, aux environs de 1636, la tragédie française se trouvait constituée. Elle achevait la séparation complète des deux éléments dramatiques, le sérieux et le plaisant. Elle renonçait aux vastes tableaux embrassant toute une époque et toute une existence, pour concentrer son effort sur des crises rapides et des faits circonscrits. Elle employait un petit nombre de personnages, tous intéressés à l’action. Elle resserrait cette action, en élaguant tout ce qui pouvait en retarder la marche logique. Elle la plaçait dans un seul lieu, afin d’obtenir plus de clarté, de rapidité et de vraisemblance. Pour le même motif, elle lui donnait une durée de vingt--