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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/168

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RACINE.

le fond des sentiments sur cette phraséologie de surface ! Loin de regarder l’amour comme un motif d’idylle ou un passe-temps mondain, il y voit le plus invincible des sentiments, une puissance fatale qui se joue de la volonté, de l’honneur et de la vie. Cet amour est celui que Sophocle invoque avec terreur, dans le chœur d’Antigone : Έρως, ανίκατε μάχαν….

Amour, toi qu’on ne peut vaincre, Amour, toi qui tombes sur les puissants nul ne saurait t’échapper, qu’il soit né parmi les immortels ou parmi les hommes, et celui qui te possède devient furieux… Aphrodite, l’invincible déesse, se rit de tout.

Nul n’a peint de couleurs plus hardies, plus réalistes, comme nous dirions aujourd’hui, cet amour fécond en catastrophes. Racine surpasse Sapho et Théocrite peignant ’la fureur du désir ; il égale Lucrèce chantant Vénus comme la force suprême de la nature, Catulle, Tibulle et Properce exhalant leur plainte personnelle ou les douleurs d’Ariane et de Sulpicia, Virgile créant la douloureuse Didon. L’amour physique, tel que l’éprouve Phèdre, est effrayant. Racine a vu que la férocité naît de l’amour dès qu’il va jusqu’au bout de son égoïsme. Il n’y a pas, sur la limite incertaine qui sépare la haine et l’amour, de révélation plus éloquente que le rôle d’Hermione, dont chaque vers projette un éclair jusqu’au fond de l’âme en proie à la passion.

Racine sait si bien que la loi de souffrance est inséparable de l’amour qu’il ne le montre guère heureux qu’à ses débuts. Deux fois seulement, dans Mithridate et Iphigénie, il réunit les amants à la fin de la pièce. C’est que, dans Mithridate, l’amour était suffisamment châtié par la mort du héros. Dans