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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/180

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RACINE.

tiques ; partout de fins mouvements de pudeur blessée, de petits traits de fierté modeste, des aveux dissimulés, des insinuations, des fuites, des ménagements, des nuances de coquetterie, puis des effusions et des générosités touchantes. » Mais cette définition n’est juste qu’à la condition de rappeler, avec M. Brunetière, que ces dehors de délicate politesse revêtent les passions les plus violentes et les résolutions les plus hardies.

Andromaque et Esther, une veuve et une épouse, représentent encore l’amour, mais sans égoïsme, l’amour qui se propose une autre fin que lui-même et s’affirme par l’abnégation personnelle. Toutes deux sont aussi femmes que les plus avisées ; elles font servir les armes naturelles de la femme, beauté et finesse, l’une à défendre son mari mort et son fils vivant, l’autre sa race menacée. Nisard a caractérisé avec bonheur le caractère et le rôle d’Andromaque, en parlant de sa « coquetterie vertueuse ». Andromaque repousse et ramène Pyrrhus avec l’attention la plus sûre à ne s’engager que dans la juste mesure où elle pourra sauvegarder sa dignité. Mais chaque vers du rôle indique clairement qu’elle sait son prix et son pouvoir.

Avec Esther, Racine a montré non seulement la femme, mais la juive qui se souvient toujours de sa race et de sa famille, ne se donne jamais tout entière, et met, dans l’occasion, ce qu’elle retient d’elle-même au service de son sang et de sa foi, toujours fille d’Israël dans le mariage, — surtout avec un autre qu’un juif, — dans la fortune et dans le pouvoir. Sa famille a calculé le prix de sa beauté.