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Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/88

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RACINE.

été reçu ; Corneille y venait encore. Le premier reprochait respectueusement à la duchesse son goût de la dispute littéraire :

Les Sophocles du temps et l’illustre Molière
Vous donnent toujours lieu d’agiter quelque point.
Sur quoi ne disputez-vous point ?

Avec son goût pour Molière et Corneille, il n’était pas surprenant qu’elle n’aimât guère Racine. D’autant que ce goût s’étendait aussi aux précieux de petit talent et de grande vanité, comme Segrais et Benserade, qui avaient Racine en horreur. Agressive et impérieuse, la duchesse était une ennemie redoutable et, comme dit Saint-Simon, « un tribunal avec lequel il falloit compter ». Son frère, le duc de Nevers, n’aimait pas davantage Racine et, par surcroît, détestait Boileau.

Un bel esprit femelle, la prétentieuse et fade Mme Deshoulières, précieuse invétérée, offrit à la duchesse l’instrument dont elle avait besoin pour nuire à Racine. Elle lui procura un jeune poète rouennais, Pradon, auteur de deux médiocres tragédies et fort capable d’en faire une troisième sur commande. Il fut prêt au temps voulu. La duchesse loua les premières loges pour les six premières représentations de chaque pièce. Par ce moyen, qui lui coûta quinze mille livres, elle faisait le plein à celle de Pradon et le vide à celle de Racine. En conséquence, « les six premières représentations, rapporte Louis Racine, furent si favorables à la Phèdre de Pradon et si contraires à celle de mon père, qu’il étoit près de craindre pour elle une véri-