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Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome II.djvu/253

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du désir de chacun de nous. Ils étaient des reliques à tous les yeux. Ce sentiment avait quelque chose de religieux et de touchant.

Lorsqu’il avait fallu porter le marteau sur cette argenterie, c’était devenu le sujet d’une grande émotion et d’une véritable douleur pour les gens. Ils avaient porté la main avec peine sur des objets qu’ils vénéraient tellement. Cet acte renversait leurs idées ; c’était pour eux un sacrilège, une désolation ; quelques-uns en pleuraient.


Nouvelle vexation du gouverneur – Topographie de l’Italie.


Vendredi 20.

Avant huit heures, l’Empereur m’a fait éveiller pour que je fusse le trouver en calèche dans le bois, où il se promenait déjà avec M. de Montholon, s’entretenant sur les dépenses de la maison. Le temps enfin était revenu au beau ; c’était une matinée de printemps délicieuse ; nous avons fait deux tours.

Aujourd’hui, nouvelle vexation incroyable du gouverneur. Il nous a fait défendre de vendre l’argenterie brisée à tout autre qu’à celui qu’il indiquerait. Quelle peut avoir été son intention dans cette violation nouvelle de toute justice ? de se rendre plus outrageant et de commettre un abus d’autorité de plus.

L’Empereur a déjeuné sous la tente ; il a dicté, immédiatement après, la bataille de Marengo au général Gourgaud. Il m’a dit de demeurer, que j’écouterais. Il s’est retiré vers midi dans sa chambre pour essayer de reposer.

Sur les trois heures, il est rentré dans ma chambre. Il nous a trouvés, mon fils et moi, occupés à collationner Arcole. Il savait que c’était mon chapitre de prédilection, que je l’appelais un chant de l’Iliade. Il a voulu le relire, et il a dit qu’en effet il lui faisait plaisir. Je l’ai inséré plus haut.

Dans le principe, l’Empereur faisait lire ses chapitres le soir. Mais une de ces dames s’étant endormie, il n’y revint plus, et me disait un jour à ce sujet : Les entrailles d’auteur, mon cher ; elles se retrouvent toujours.

La lecture d’Arcole a réveillé les idées de l’Empereur sur ce qu’il appelait ce beau théâtre d’Italie. Il nous a commandé de le suivre au salon, et nous y a dicté durant plusieurs heures. Il avait fait étendre une immense carte d’Italie, qui couvrait la plus grande partie du salon, et, couché dessus, il la parcourait à quatre pattes, un compas et un crayon rouge à la main, comparant et mesurant les distances à l’aide d’une